Becky Chambers règne sur le beau et sur le bien, nous berçant jusqu’à la fin avec intelligence et subtilité sur demain.

Une prière pour les cimes timides - Just a word
Article Original
 

Retour en Hopepunk avec le second volet des Histoires de moine et de robot de l’américaine Becky Chambers après Un Psaume pour les Recyclés sauvages paru l’année dernière chez L’Atalante et traduit par Marie Surgers.
Dans Une Prière pour les cimes timides — quel titre magnifique — nous retrouvons nos deux héros, à savoir frœur Dex et le robot Omphale, qui sortent enfin de la forêt des ruines de la civilisation pour reprendre contact avec le monde des hommes.
Prenez une tasse de thé, quelques biscuits savoureux et un bon plaid car l’aventure continue…

Apprendre l’histoire du monde, ça va tout seul. La voir de ses propres yeux, ça fait un choc.

Suite directe d’Un Psaume pour les Recyclés sauvages, cette seconde novella prolonge l’épopée apaisante et pleine d’intelligence imaginée par Becky Chambers sur le monde de Panga, décalque utopique d’une Terre du futur où l’homme vivrait enfin en paix avec la Nature et avec lui-même.
Ceux qui ont aimé la recette du précédent opus ne seront pas déroutés, au contraire, puisque le principe reste strictement le même.
Chez Becky Chambers, l’exploration est autant celle du monde que celle de soi, conservant avec bonheur une capacité d’émerveillement face au quotidien et à l’insignifiant qui fait merveille à la lecture.
Omphale et Dex poursuivent leur quête, celle de trouver du sens à l’existence même si celle-ci semble de plus en plus n’en avoir aucun.
Cette fois, le temps est surtout venu de partir à la rencontre de l’autre et de mettre face à face un robot et des humains qui n’ont plus rien vu de semblable depuis des éons. Cette rencontre va forcément changer la donne, pour Omphale comme pour Dex. C’est aussi l’occasion pour Becky Chambers d’imaginer une société différente, utopique, où l’argent n’existe plus et où un troc solidaire a remplacé l’ancien système. Un troc qui, en plus, tente de prendre en compte l’aspect psychologique de ses participants et qui, parfois, révèlerait leur mal-être. On trouvera aussi quelques mentions fugaces de la cellule familiale qui semble bien plus élargie et libre que par le passé, permettant des unions multiples et finalement très loin du couple hétéronormé. Cela sans jugement aucun, car chez Becky Chambers comme toujours, ce qui prévaut c’est le dialogue, l’écoute et la compréhension de l’autre, peu importe sa nature et ses idées.

Si tu les déranges, tu n’y seras pour rien, ça viendra d’eux. Ça ne te concernera même pas vraiment. Ils ne comprennent pas ta nature, c’est tout. Ils ne savent pas comment t’intégrer à leur vision du monde, et ça leur fait peur. Parfois, l’inconnu, ça nous rend idiots.

Une Prière pour les cimes timides poursuit ainsi la dimension philosophique de son prédécesseur en s’interrogeant sur ce qui nous construit et nous transforme, sur l’importance du corps et ce qui change lorsque celui-ci change, sur ce qui constitue l’essentiel et le non-essentiel, sur ce qui différencie l’objet de l’être humain.
Becky Chambers écrit une science-fiction réflective et belle, qui prend son temps et apaise les maux de ses personnages.
Car les maux, il en reste tout de même. Tout n’est pas complètement idyllique là-dedans. Dex souffre toujours d’une forme de spleen difficilement explicable, d’une blessure qui l’empêche de s’autoriser à être heureux et qui, au passage, l’empêche de redevenir le moine de thé remarquable qu’iel a été par le passé. Une souffrance existentielle qui fera écho à la question centrale posée par Omphale sur le besoin.
A-t-on toujours besoin de quelque chose ? Et que devenons-nous si nous n’avons plus de besoin ?
Mais ce qui réjouit dans cette aventure doucereuse, c’est sa capacité à ne jamais juger et à toujours respecter l’autre, à réveiller des questionnements sans jamais soulever la colère ou la haine. C’est une science-fiction d’espoir et de paix, toujours, et c’est certainement ce qui rend cette aventure drôle et unique en son genre, indispensable dans son inutilité sensible et émouvante.

Rentrer chez soi, c’était toujours étrange. Pour rentrer, il fallait avoir pris le départ, ce qui vous transformait de manière irréversible. Bizarre, ensuite, de revenir en un lieu qui serait à jamais ancré dans le passé. Comment ce lieu pouvait-il exister encore, si l’individu qui y vivait n’existait plus ?

Suite parfaite à une histoire du futur qui transpire la bonté et l’apaisement, Une Prière pour les cimes timides poursuit sa réflexion sur l’existence et sur la nature des êtres de Panga. Becky Chambers règne sur le beau et sur le bien, nous berçant jusqu’à la fin avec intelligence et subtilité sur demain.

Note : 9/10

Nicolas Winter

Publié le 9 mars 2023

à propos de la même œuvre