La violence n’est jamais explicite, elle est avant tout dans les idées, les émotions, l’écho que ce roman peut avoir au regard de certains évènements, et cela la rend d’autant plus incisive. A lire, absolument, mais ne vous attendez pas à rêver de bisounours après…

Les dames blanches - Agneta Gerson
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J’ai découvert cet auteur lors d’une des éditions du salon des Utopiales à Nantes, que je ne rate jamais (sauf cette année…), notamment en raison des conférences passionnantes que l’on peut y écouter.

Pour revenir à ce roman, il n’est pas vraiment dans mon style de prédilection puisqu’il s’agît de science-fiction / fantasy, ce que je lis très rarement. Mais après avoir entendu et discuté avec l’auteur, j’ai vraiment eu envie de le lire et de partager un bout de son imaginaire. Empreint d’humanité et mettant sa plume au service de la lutte contre tous les fanatismes quels qu’ils soient, Pierre Bordage frappe fort dans ce livre marquant qui m’a emmené pas à pas sur un chemin de passionnantes réflexions.

Une bulle blanche, de 50 mètres de diamètre, est tout à coup visible dans un champ en France. Lumineuse, attirante, douce, elle exerce une fascination sur les enfants qui s’en approchent sans crainte et pénètrent à l’intérieur. On ne les reverra plus. D’autres bulles commencent alors à éclore un peu partout, générant peur et haine envers ces organismes non identifiés qui kidnappent ce que la société a de plus précieux. L’homme essaye de les attaquer, de les dynamiter, de les faire fondre. Rien n’y fera. Elles semblent indestructibles.

Mais un dilemme commence à poindre, divisant la population : ces bulles blanches génèrent un champ électromagnétique considérable qui perturbe complètement l’ensemble des réseaux électriques et numériques. Et très vite, on constate avec effroi que la seule manière de réduire leur dissémination… est de leur fournir des enfants. Ceux-ci y entrent avec plaisir, comme hypnotisés par cette douce lueur, promesse d’une matrice protectrice. Et personne ne sait ce qu’il leur arrive ensuite. Aucun son, aucune image.

Face à la chute annoncée de la civilisation moderne, les gouvernements vont-ils aller jusqu’au bout et commettre l’indicible en instaurant la loi d’Isaac ? Chaque couple devra alors emmener son premier enfant aux dames blanches. Un sacrifice individuel massif pour le bien de la communauté… Comment accepter cela ? Et surtout quels mécanismes psychologiques permettent de faire accepter ce qui est intolérable, de s’y habituer finalement ?

Pire que tout, certains militaires iront jusqu’à transformer les enfants en « pédokazes », dont la mission sera de détruire les dames blanches de l’intérieur… On touche alors au summum de l’horreur, avec cette différence entre les enfants, purs et innocents, qui font confiance aux adultes et aux dames blanches également d’ailleurs, et les hommes, dont le seul but est de les détruire tous deux.

Le « remède » est finalement pire que le mal et permet surtout un asservissement de la population par la peur et la sidération.

Indifférence, intolérance, manipulation, égoïsme forcené, Pierre Bordage explore ici les faces sombres de l’humanité, avec des personnages forts et ambigus, car ici rien n’est tranché. La réflexion se poursuit au fil des pages et amène à se poser des questions assez existentielles dont on ne sort pas indemne. La violence n’est jamais explicite, elle est avant tout dans les idées, les émotions, l’écho que ce roman peut avoir au regard de certains évènements, et cela la rend d’autant plus incisive.

A lire, absolument, mais ne vous attendez pas à rêver de bisounours après…

Agneta Gerson

Publié le 22 janvier 2021

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