Refuser la Métaquine c’est accepter d’être faible, rêveur, moche ou juste différent. C’est accepter d’être soi.

Rouiller - Métaquine - Mes Imaginaires
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Une molécule pour calmer les enfants turbulents, indisciplinés ou intentionnés : chère maman, cher instit, c’est pas révolutionnaire ça ? Le calme en classe enfin ou après une journée de travail, une agressivité en berne et des résultats qui s’améliorent… La Métaquine promet tout ça et plus encore.

Métaquine, ça sonne comme Ritaline (psychostimulant) ou Kétamine (anesthésique et hallucinogène), deux médicaments existant effectivement. François Rouiller joue avec les multiples propriétés de ces molécules grandement discutées pour inventer la sienne. Six personnages se trouvent confrontés de façons différentes au produit miracle, six voix qui composent un roman polyphonique et brillant.

Régis d’abord, le sujet test par excellence : pré-ado complètement à l’ouest, il passe ses cours à s’imaginer dans un autre monde, le Duché, avec deux super copains. Surdoué autodidacte, il est aussi le souffre-douleur des autres gamins et de la maîtresse qui n’en peut plus de ce tête en l’air. Aurélia, la mère de Régis est au-delà de l’ouest puisque coincée dans le SimDom : c’est une cyberaddict dont le cerveau déconnecté du corps vit de façon autonome. Pour tout le monde, elle n’est qu’un légume. Henri le geek looser a accueilli chez lui Aurélia et son fils. Dire qu’il s’occupe d’eux serait exagéré, puisqu’il a déjà beaucoup de mal à se gérer lui-même. Sophie, docteur en neurosciences à la retraite et guettée par Alzheimer, est la voisine de Régis, la seule à lui parler et à qui il parle.
Curtis est directeur marketing chez Globantis, la firme qui commercialise la Métaquine. Clotilde, élue et militante est celle qui cherche à lui mettre des bâtons dans les roues…

Une autre voix se fait également entendre, celle de Ferdinand A. Glapier, une entité dont on ne connaît pas la véritable identité mais un agitateur patenté, cyberpenseur bien décidé à secouer l’apathie publique.

La secouer ? Oui, car tous, nous sommes tous endormis par la publicité, le mensonge et le marketing. Ils nous formatent et nous font accepter n’importe quoi, élire les pires voyous. Et qu’est-on prêt à faire pour que nos rejetons aient de bons résultats à l’école tout en nous fichant la paix le week-end ? Rassurez-vous, François Rouiller n’en a pas qu’après nous, citoyens manipulés. Ce sont la toute puissance et le cynisme des groupes pharmaceutiques qu’il dénonce qui, sous couvert de philanthropie, financent la recherche médicale mais coupent les subsides à qui ne va pas dans son sens. Qui proposent de tester les élèves en situation d’échec scolaire après avoir organisé de vastes campagnes de marketing auprès des familles et des pédopsys tous prêts à se jeter sur le produit miracle dont tout le monde parle.

Pharmacien lui-même, François Rouiller sait de quoi il parle et dévoile la supercherie avec intelligence. Tous les personnages possèdent une densité qui les rend crédibles donc familiers. On cerne aussi bien le gros looser aux aspirations criminelles que le pauvre ado, non parce qu’ils sont caricaturaux mais bien parce qu’ils sont humains et qu’on les comprend. La plus difficile à cerner de fait est Aurélia, perdue dans son univers de synthèse mais sa voix est aussi celle d’une femme blessée. Le méchant de l’affaire, Curtis Candrian est un manipulateur tellement intelligent et cynique qu’il en est passionnant.

On les prend tous au moment où l’avènement de la Métaquine semble incontournable : Clotilde est bien isolée dans sa lutte contre le géant pharmaceutique, les chercheurs ayant besoin de financements pas de problèmes de conscience. Mais voilà, il y a çà et là des couacs qui laissent présager quelques problèmes : Henri voit des utilisateurs disjoncter après réparation bâclée de leur calotte (indispensable pour se connecter au SimDom), Régis constate l’invasion de son Duché imaginaire par des simulations qu’il n’a pas suscitées. Et puis ce tableau qui revient à plusieurs reprises, chez Globantis, chez Sophie, qui figure un lieu que Régis et Clotilde reconnaissent comme l’ancien orphelinat de La Guillanne… Mon seul reproche à ce premier tome serait que l’intrigue met du temps à s’amorcer. Au profit bien sûr des personnages.

François Rouiller enfonce le clou de la dénonciation à travers les propos de Glapier qui reviennent entre chaque partie. Le cyber agitateur n’y va pas de main morte, s’en prenant aux grands groupes pharmaceutiques, aux politiques corrompus et à la bêtise universelle. N’avons-nous pas renoncé à notre cerveau avant même d’avoir avalé la Métaquine ? Ne sommes-nous pas les gogos qui votent pour des voleurs ? N’avons-nous pas abdiqué notre fierté et notre intelligence pour simplement « avoir l’air » ? Avoir l’air branché, plus jeune, plus mince, plus conforme aux fantasmes vendus par la publicité et le cinéma ?

Si nous sommes si manipulables, c’est moins grâce à l’intelligence des publicitaires, politiciens et autres gourous auxquels on voudrait faire porter le chapeau de notre bêtise. C’est bien plus parce que nous avons renoncé au nom de l’illusion à utiliser pleinement nos capacités. Nous sommes soumis à la réussite, à l’argent, à la jeunesse, bref, au paraître. Ce règne de l’image est encouragé par les médias et fait le lit de l’industrie pharmaceutique qui n’a pas pour ambition de soigner mais bien de s’enrichir et d’engraisser ses actionnaires. Ce qui nous reste de conscience individuelle n’aurait pourtant pas grand-chose à faire d’autre pour secouer le joug que refuser. Refuser la Métaquine c’est accepter d’être faible, rêveur, moche ou juste différent. C’est accepter d’être soi.

Ah que ce livre est intelligent ! Lisez-le !

Publié le 19 avril 2016

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