Rien, vraiment, n’a été laissé au hasard. Jusqu’à la campagne promotionnelle, qui s’est traduite par l’envoi de mails représentant une boite de médicament plus vraie que nature, et autres savoureux détails sur les propriétés de la molécule, laissant planer le doute sur une éventuelle nature littéraire de Métaquine®. Malgré le titre du tome 2, il n’y a aucune contre-indication à ce roman, qui génère pourtant une forte accoutumance. C’est un sans-faute, qui raflera probablement, à défaut d’occuper les rayons des pharmacies, les plus grands prix de l’imaginaire.

Rouiller - Métaquine - Galaxies
Métaquine® est un médicament inspiré de la Ritaline, qui ne se contente pas de calmer les enfants hyperactifs : il en fait des écoliers modèles. Mais Régis n’est pas un cancre : il est seulement un rêveur très en avance sur son âge, qui vit dans la contrée imaginaire du Duché, château fantastique où, avec ses amis Mat et Cora, il combat des dinosaures ; les visions sont parfois si nettes qu’elles se surimposent au monde réel.

La molécule est aussi efficace pour ceux qui se sont grillés le cerveau avec des casques d’immersion dans des réalistes virtuelles dont ils ne reviennent pas, comme Aurélia, la mère de Régis, qui devrait normalement être hospitalisée, mais que Henri, réparateur informatique, ombrageux beau-père accro aux tabloïds morbides du style Allô Police, garde à la maison, soi-disant pour aider à son sevrage.

Les personnes âgées, celles souffrant d’Alzheimer ou de confusion mentale, sont aussi de bonnes candidates. Sophie, neurobiologiste à la retraite, retrouve son esprit critique depuis qu’elle a appris que Régis, son jeune voisin, qu’elle abrite en attendant le retour de du beau-père, doit passer des tests d’aptitude sponsorisés par Globantis Pharma.

D’ailleurs, le médicament est aussi efficace pour les stressés et les surmenés, dont il régule l’humeur : Ghislaine, l’amie de Clotilde, en prend. Mais cette dernière, un rien désabusée en raison d’une vie personnelle en capilotade, reste une farouche militante traquant les malversations des grands groupes industriels.

Enfin, la gélule miracle est conseillée pour tous les adultes en général, car elle clarifie l’esprit, efface la nervosité et rend plus posé. D’ailleurs, à Globantis, où tous les moyens sont bons pour imposer ce médicament, tout le monde en prend. Au détriment, certes, d’une certaine spontanéité, caractérisée par une voix monocorde et une relative indifférence aux problèmes d’autrui.

Curtis, le super-vendeur de la société, n’en use que pour manipuler ses clients. Il commence à craindre cette uniformisation. La drogue a aussi des effets dissociatifs proches d’expériences de décorporation : son efficacité, comparable à celle d’un ordinateur à qubits, serait due à sa nature quantique et permettrait d’exploiter d’autres propriétés similaires, comme les superpositions d’états, l’intrication, jusqu’à rendre effectives les explorations d’univers parallèles.

Mais Globantis n’a cure de ces spéculations : son objectif est avant tout mercantile. C’est un formidable roman, réglé comme du papier à musique, qu’a écrit François Rouiller, jusqu’à présent auteur de nouvelles et illustrateur à l’humour pétillant et débridé. Les chapitres, courts, nerveux, consacrés à l’un des six principaux personnages, alternent avec des extraits du blog pilori.info, signés par le trublion Ferdinand A. Glapier, un nom qui dévoile quelques influences littéraires et canulardesques. Chaque billet dissèque méthodiquement les mensonges qui gangrènent notre société, depuis les fausses études pharmaceutiques jusqu’aux déclarations politiques, à la publicité, aux pièges du Net, à l’information orientée des actualités, en passant par la fabrique de stars, la chirurgie esthétique, le maquillage, tout ce qui permet de donner à voir et à croire mieux que la réalité, de travestir et de magnifier celle-ci. François Rouiller distille une information scientifique de haut niveau accessible à tous, sans jamais perdre de vue l’intrigue et ses personnages. Le tout est écrit avec une verve délectable, dans la lignée d’un Audiard. Ce qui n’apparaissait que comme une dénonciation des industries pharmaceutiques débouche sur une science-fiction d’envergure cosmique digne d’un Philip K. Dick.

Rien, vraiment, n’a été laissé au hasard. Jusqu’à la campagne promotionnelle, qui s’est traduite par l’envoi de mails représentant une boite de médicament plus vraie que nature, et autres savoureux détails sur les propriétés de la molécule, laissant planer le doute sur une éventuelle nature littéraire de Métaquine®. Malgré le titre du tome 2, il n’y a aucune contre-indication à ce roman, qui génère pourtant une forte accoutumance. C’est un sans-faute, qui raflera probablement, à défaut d’occuper les rayons des pharmacies, les plus grands prix de l’imaginaire.

Claude Ecken
Galaxies n°42
Publié le 17 août 2016

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