Texto est un roman sombre qui joue pleinement de ses ambiguïtés: d'Ilya ou de Petia, qui est le bourreau, qui est la victime? Entre dégoût, pitié, colère, difficile de se positionner pour le lecteur qui peine ainsi à "juger" les protagonistes de ce roman où tout le monde tente au final de survivre à sa façon.

Un moment pour lire
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Début des années 2010, Ilya sort en boîte célébrer avec sa petite amie son admission à l'université. Un pass d'entrée pour le Moscou glamour et excitant qu'il va pouvoir enfin rejoindre en laissant derrière lui sa banlieue triste. Mais pour s'être trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, il est condamné à sept ans de prison pour un crime qu'il n'a pas commis.
De retour chez lui après avoir purgé sa peine, complètement brisé, il retrouve Petia, le policier qui l'avait jadis fait condamner et le poignarde, avant de s'emparer de son smartphone et de le laisser pour mort. Lorsque les premiers texto arrivent et afin de ne pas alerter l'entourage de la victime, Ilya va endosser l'identité de Petia, se faisant prendre à un engrenage qui sera mortel ou salvateur. 
 
Ayant toutes les peines du monde avec les auteurs russes classiques (Tolstoï: que de bla bla, que de lenteurs!), je me suis tournée vers les auteurs contemporains histoire de me réconcilier avec la littérature de ce pays. J'ai ainsi bien accroché il y a quelques années à Vongozero de Yana Vagner et j'ai sauté sur l'occasion de découvrir le nouveau roman de l'auteur russe Dmitry Glukhovsky, plus connu pour sa série apocalyptique Metro. Pour info, je n'ai pas lu cette dernière et cela a probablement joué un rôle positif pour cette lecture: ce roman ne ressemblant a priori en rien aux écrits précédents de l'auteur, je n'ai pas été déstabilisée ou déçue comme pourraient l'être des fans de Metro
 
Loin d'un monde futuriste, Texto est au contraire bien ancré dans la Russie et la société d'aujourd'hui. On y parle de Poutine, de Trump, de WhatsApp, de Telegram et du dernier smartphone à la mode, objet devenu indispensable à notre fonctionnement, au point qu'il devient un miroir de notre vie et de notre personnalité. C'est ce que va découvrir Ilya: lui qui avait cru se débarrasser de Petia, va au final pénétrer si profondément dans l'intimité de son ennemi qu'il va risquer de s'y perdre complètement. 
 
Le smartphone comme fil rouge, c'est l'idée de base originale de Texto qui permet à Dmitry Glukhovsky de sonder l'âme d'un jeune officier de police pourri dans un Moscou où la corruption est partout. Un fil rouge qui résulte toutefois également sur quelques lenteurs (et oui, on n'échappe apparemment pas à cela dans la littérature russe?): comme votre ado, Ilya passe beaucoup de temps sur son smartphone à écrire des textos plutôt que se bouger, rendant parfois le récit répétitif et stationnaire surtout dans sa première partie - quelques centaines de pages tout de même à lire avachi le contenu du téléphone de Petia, ses textos, ses photos, ses emails. 
 
Lent, Texto l'est un peu, oui, même si le rythme s'accélère petit à petit. Si Glukhovsky évite le côté donneur de leçon de Tolstoi, son roman amène toutefois le lecteur à passablement s'interroger. Texto est un roman sombre qui joue pleinement de ses ambiguïtés: d'Ilya ou de Petia, qui est le bourreau, qui est la victime? Entre dégoût, pitié, colère, difficile de se positionner pour le lecteur qui peine ainsi à "juger" les protagonistes de ce roman où tout le monde tente au final de survivre à sa façon. 
 
Au final, ce qui lie tous les romans russes lus jusque ici, c'est cette noirceur sublimée. La Russie de Glukhovsky est loin d'être toute rose, comme si derrière le faste et la fête des boîtes de nuit moscovites, elle contenait déjà la pourriture qui la mènera à ses récits apocalyptiques. Texto se résume ainsi à une éloge funèbre à la beauté de la ville de Moscou. Une découverte pour sortir des sentiers battus!
 
Si vous connaissez un roman russe drôle et joyeux, je suis preneuse ;-)
Publié le 20 mars 2019

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