Le récit est un vrai tour de force, de part sa construction, son intrigue retorse et le puzzle constitué par la vie numérique de Petia. Le style est bluffant et à mon sens très littéraire, plein de poésie et de puissance. Ilya est un personnage particulièrement attachant, l’auteur a su le rendre aussi réel que possible, crédible dans son désespoir mais aussi dans ses espoirs.

La Lectrice Hérétique
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Quelle joie de retrouver l’auteur de FUTU.RE dans un nouveau roman. Après ma lecture de Metro 2033 et Metro 2034 j’étais un peu restée sur ma faim. Ici, l’auteur nous revient avec un roman ancré dans notre réel, dans la Russie contemporaine.

Ilya est un jeune homme de vingt-sept ans qui vient de passer sept ans en prison, au lieu de poursuivre de brillantes études. Piégé par un jeune policier, ambitieux et déjà véreux, il n’aspire pourtant qu’à reprendre le cours de sa vie auprès de sa mère adorée. Sur le chemin du retour, son voyage en train lui révèle une Russie qui a évolué sans lui. Privé de liberté mais aussi d’accès facile et illimité au monde, celui-ci lui apparait changé et plein de mystères.

Ilya ne sait rien de ce qui l’attend en retrouvant sa liberté. Quitté par sa petite amie, il se raccroche à l’amour de sa mère, sa seule famille. Empreint de désespoir et d’amertume, le ton est vite posé. Servie par un style encore plus prenant que dans mon souvenir de FUTU.RE, l’atmosphère est lourde et opressante, l’état d’esprit d’Ilya transpire à chaque phrase. Poétique, métaphorique et élégante la plume de l’auteur est un vrai délice. Il faut au moins cela pour ne pas se sentir écrasé par l’ambiance.

Car Ilya ne sera pas accueilli par sa mère, morte depuis peu. Confronté à un retour qu’il était loin d’imaginer, Ilya se retrouve face à lui-même, avec le souvenir de sa mère qu’il a encore du mal à considérer comme morte. Son dénuement moral et une rancoeur refoulée le font basculer dans l’irrémédiable. Un concours de circonstances plus ou moins provoquées le conduit à tuer Petia, le flic qui l’a envoyé en prison. Dès lors, entre le soulagement d’une justice accomplie et un sentiment de fatalité, Ilya n’a d’autre but que d’offrir un enterrement digne à sa mère, se sachant lui-même condamné à court terme.

Entré en possession du portable de Petia, Ilya en devient rapidement dépendant, fouillant dans la vie privée de sa victime, décorticant les moindres aspects, au point de se faire passer pour lui près de ses proches. Retardant ainsi la découverte du corps, et mettant en suspens sa propre destinée, une course contre la montre commence alors pour Ilya. L’auteur maîtrise le rythme de son récit avec des moments d’introspection bien dosés et les préoccupations terre à terre de tout possesseur de smartphone. Celui-ci devient un personnage à part entière dans l’intrigue, en tant que doublure du mort. Pas si mort que cela d’ailleurs, puisqu’il vit toujours par le biais d’Ilya. La vie entière de Petia est contenue dans son téléphone, morcelée sous forme de photos, de mails, de messages, de vidéos. Ilya s’évertue à reconstituer le puzzle pour mieux faire illusion. Le virtuel prend le pas sur le réel, l’espoir commence à s’insinuer dans l’esprit d’Ilya, mais pour combien de temps ?

En gardant le téléphone d’un homme à qui tout semblait sourire, Ilya comble ses années de prison et commence à vivre par procuration, s’immisçant dans une vie qui aurait pu être la sienne.

Malgré la situation hors norme dans laquelle il se retrouve embourbé, il essaie d’en tirer le meilleur parti, estimant n’avoir pas grand-chose à perdre. Déjà détruit par sa peine de prison, puis achevé par la perte de sa mère, il est désabusé depuis longtemps et tente le tout pour le tout dans un sursaut d’espoir. La tension est palpable tout au long de l’intrigue, même si l’issue ne fait pas de doute on se surprend à avoir peur pour Ilya.

Le récit est un vrai tour de force, de part sa construction, son intrigue retorse et le puzzle constitué par la vie numérique de Petia. Le style est bluffant et à mon sens très littéraire, plein de poésie et de puissance. Ilya est un personnage particulièrement attachant, l’auteur a su le rendre aussi réel que possible, crédible dans son désespoir mais aussi dans ses espoirs.

Texto n’est pas un roman joyeux, ni optimiste, mais profondement noir et réaliste, Glukhovksy dépeint un monde dur et froid, où le corrompu prend le dessus sur l’innocent.

Publié le 26 mars 2019

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