C’est à l’image de toutes les émotions que ce roman procure entre lumière et obscurité avec une humanité qui se débat comme elle peut et au final des destinées effilochées et vouées à disparaître.

Texto - Cafardsathome
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Chronique d’un beau cadeau de Noël offert par ma chère et tendre et que j’ai enfin lu malgré mon impatience au moment de sa réception. Il faut dire que j’adore Dmitry Glukhovsky, un écrivain russe au talent incroyable et à l’engagement sans ambiguïté contre le tyran qui dirige son pays. Il est surtout connu pour sa trilogie Metro qui est excellente mais je dois avouer que ma préférence va vers le sublime FUTUR.E et l’étrange et sinueux Sumerski. C’est d’ailleurs vers ce dernier que lorgne Texto, le dernier roman de l’auteur que je n’avais pas lu.

Je dirais tout d’abord que cet ouvrage est à part dans la bibliographie de l’auteur. Moins branché anticipation et fantastique, on rentre ici dans un récit intimiste complètement branque où Ilya le héros récupère le smartphone de sa victime et va se faire passer pour lui. À priori basique, l’intrigue n’est en fait qu’un prétexte pour disséquer la personnalité d’Ilya, explorer son passé et sa psyché pour le moins torturée. On pense immédiatement à Dostoïevski et notamment le fabuleux Crime et Châtiment qui m’avait laissé sur les genoux. Il ne se passe finalement pas grand-chose, l’action est resserrée sur quelques jours mais en explorant le passé du propriétaire de son smartphone, en essayant de se substituer à lui, Ilya va de découvertes en découvertes, la culpabilité peu à peu l’envahit et l’entraîne vers une fin logique et imparable. Brillant !

Glukhovski est un orfèvre en termes de caractérisation des personnages. Que ce soit pour Ilya ou sa victime mais aussi tous les protagonistes qui gravitent autour d’eux, il façonne des êtres complexes, ambivalents, profondément humains. Il nous installe dans un faux rythme lent qui peut exploser du jour au lendemain en faveur d’une révélation faite en bout de ligne ou de paragraphe. Il faut se garder des idées toutes faites, des hypothèses que l’on peut élaborer, l’auteur s’amuse à nous tromper, nous diriger vers de fausses certitudes qu’il renverse avec un plaisir certain au fil de cette lecture très dense.

C’est le mot pour décrire une lecture pas forcément évidente au premier abord. Il faut se donner les moyens de pénétrer l’univers d’Ilya, de goûter au charme de cette écriture pleine qui prend son temps. L’action ne démarre vraiment qu’en milieu de volume, Glukhovsky prenant le temps d’installer une ambiance, un personnage. Cela en a découragé plus d’un mais vu mon goût pour cet auteur, je savais que la suite me rendrait au centuple l’effort consenti. Car dès lors qu’on passe le cap, on est entraîné dans un parcours pour le moins chaotique et incertain. Vivant une vie par procuration , Ilya commence à perdre pied, mélangeant sa vie et celle de l’autre, définissant de moins en moins bien le réel du fantasme avec en fond une culpabilité qui l’envahit peu à peu sans espoir de rédemption ou presque.

En filigrane, l’auteur nous offre un tableau peu reluisant de la Russie actuelle avec l’évocation de mœurs et de pratiques anti-démocratiques comme le musellement des gêneurs, une police aux ordres, des condamnations iniques, une vision parfois paranoïaque du monde qui se traduit si tragiquement en ce moment en Ukraine. Le regard est ici lucide et sans concession, donnant lieu à une lecture éclairante, passionnante et parfois choquante. C’est à l’image de toutes les émotions que ce roman procure entre lumière et obscurité avec une humanité qui se débat comme elle peut et au final des destinées effilochées et vouées à disparaître. Ce n’est donc pas le plus optimiste des livres...

Comme dit précédemment, on retrouve toute la maestria de l’auteur, sa langue unique, son sens du récit même si ici il se réduit souvent aux émotions ressenties d’Ilya et sa prise de connaissance du passé de sa victime via son smartphone. Le rythme est lent, moi je l’ai trouvé parfait et idéal pour appréhender au mieux personnages et tenants et aboutissants de cette intrigue profondément intime et humaine à la fois. Une sacrée expérience donc, qui divisera sans doute davantage que les œuvres suscitées de l’auteur mais qui pour ma part, m’a ravi et enthousiasmé.

Publié le 10 juin 2022

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