La construction du roman est très intéressante. En effet, le seul point de vue étant celui d'Ilya, on pouvait craindre une certaine monotonie. Or ce n'est pas le cas grâce à l'utilisation du smartphone de Petia, qui d'une certaine façon transforme un monologue en une sorte de huis clos entre les deux personnages, sans compter bien sûr des personnages secondaires évoqués de façon vivante en quelques traits.

Les Chroniques de l'Imaginaire
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Quand Ilya Goriunov est enfin libéré de son enfermement dans la "zone" sibérienne, il n'a qu'une idée : enfin retourner voir sa mère, qui l'a élevé seule, et qui l'attend depuis sept longues années. Mais à son arrivée à Lobnia, la banlieue de Moscou où il a grandi, et où elle habitait toujours, il apprend qu'elle est morte depuis deux jours. Ivre de douleur et de vodka, Ilya retourne à Moscou, rencontre le flic qui l'a piégé et l'a envoyé injustement en prison, constate qu'il n'a apparemment pas changé, le tue, et planque son cadavre dans une canalisation d'égout, après avoir empoché son smartphone.

Dans les jours suivants, il va utiliser l'iphone pour maintenir la fiction d'un Petia Khazine encore en vie, à coup de SMS envoyés à ses parents, ses relations de travail et sa compagne. Peu à peu pourtant il se prend au jeu, et se met à intervenir dans la vie de ces inconnus.

L'auteur de Metro 203x revient là où on ne l'attendait pas forcément, avec ce roman en blanc et noir, le blanc de la neige et de la cocaïne, le noir de la nuit, des voitures officielles et du désespoir. Il n'a rien perdu de son talent ni de son oeil affûté. Tous ses personnages sont touchants, par leurs imperfections et leur ambiguïté : la mère d'Ilya n'est pas une sainte, ou du moins est-elle capable d'erreurs, et Petia n'est finalement pas un salaud sans nuance, par exemple.

De façon assez glaçante, la peinture qu'il fait de la société russe contemporaine (l'action se déroule en 2016) évoque la période soviétique, biens de consommation en plus. J'ai pensé plus d'une fois que l'inspecteur Arkady Renko créé par Martin Cruz Smith n'aurait pas été dépaysé dans cette capitale où tout doit s'arrêter pour le passage du "tsar", où un petit flic corrompu peut saboter la vie d'un homme sur un caprice, et où tout peut s'acheter.

La construction du roman est très intéressante. En effet, le seul point de vue étant celui d'Ilya, on pouvait craindre une certaine monotonie. Or ce n'est pas le cas grâce à l'utilisation du smartphone de Petia, qui d'une certaine façon transforme un monologue en une sorte de huis clos entre les deux personnages, sans compter bien sûr des personnages secondaires évoqués de façon vivante en quelques traits, qu'il s'agisse de Denis Sergueïevitch, ou de Gocha, par exemple.

Ce roman montre la façon dont la vie de nos jours est médiatisée, incarnée dans le téléphone comme support non seulement de nos communications  mais aussi de nos souvenirs, sinon de nos relations. Qui d'entre nous s'interroge sur l'auteur véritable d'un texto qui arrive d'un numéro connu ? Il montre aussi le pouvoir de suggestion des images, que ce soit celle de la télévision, du téléphone, ou de l'écran d'une agence de voyages : Ilya peut y croire, s'y inclure si bien qu'il abandonnera sa mère à la morgue pour se payer un passeport qu'il sait, quelque part, qu'il ne pourra jamais utiliser.

En somme, un bon roman, qui intéressera les lecteurs de Dmitry Glukhovsky en leur faisant découvrir une autre facette de son imaginaire, les amateurs de noir urbain, et les personnes intéressées par une histoire mettant en scène la Russie contemporaine. Et ces deux dernières catégories de lecteurs pourraient même en arriver à lire les autres romans de l'auteur, même s'ils "n'aiment pas la SF", qui sait ?!

Publié le 26 mars 2019

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