A travers cette parenthèse hallucinée se déploie tout le talent littéraire de Glukhovsky, dont on n’oubliera pas les pages qu’il consacre à la ville moscovite, hétéroclite et malaisante.

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Texto est une somme de fantasmes accomplis par un marginal, qui parvient à endosser l’identité numérique de sa victime, en lui volant son téléphone portable. Ainsi Ilya devient-il Piotr Khazine, un policier jadis responsable de son arrestation dans une discothèque moscovite, où la jeunesse tente d’oublier qu’elle vit au pays de Poutine, rongé par la corruption, la haine des homosexuels, le repli nationaliste. Le héros principal est d’abord un type poursuivi par une sorte de poisse : sa copine l’a lâché, sa mère vient de mourir, sa vengeance l’exhorte à tuer. Dans un récit à la trame classique de high speed chase, le protagoniste aurait été la quantième version du fugitif, expiant par sa traque infernale le crime auquel toute justice fait rendre gorge. Mais Texto dévie du sentier grâce à un twist diabolique : le téléphone portable, ce fameux objet, dont l’attraction chronophage a des vertus immobilisantes. Ainsi, le héros ne fuit-il pas dans le monde physique où sa présence déjà inopportune est maintenant lestée d’un assassinat, mais investit la virtualité sans doute compensatrice, diraient les psychanalystes, où l’existence de sa victime se recompose à travers vidéos, SMS, applications déclenchées par un doigt fébrile qui transforme Ilya en une sorte de Champollion 2.0. Sauf que le voyeur, de moins en moins à distance de ce qu’il regarde, doit achever les histoires qui se sont nouées -un message brouillon envoyé à une femme aimée, une mission de trafiquant-, sans oublier qu’il demeure celui qui a lié sa vie à un crime. Le récit existe dans cet entre-deux passionnant et sa structure n’est pas éloignée des enjeux de la tragédie : tant que l’existence du meurtre n’est pas factuellement avérée par la communauté, le héros, pourtant conscient de ce qu’il a accompli, peut vivre dans l’illusion de son innocence, tout en sachant que le temps est compté.
A travers cette parenthèse hallucinée se déploie tout le talent littéraire de Glukhovsky, dont on n’oubliera pas les pages qu’il consacre à la ville moscovite, hétéroclite et malaisante.

Publié le 26 mars 2019

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