Une spécialiste en archécologie, un policier gérant les crimes contre les enfants, une première ministre, des gilets jaunes… euh, pardon, des foulards blancs, un président écolo, un confinement. Et comme lien entre tout cela, des I.A. Composite, où une tentative de comprendre la société, une interrogation sur ce qui nous lie malgré toutes nos différences, toutes nos haines, un questionnement qui touche, forcément, chacun de nous.
Archécologie
Cela commence étrangement et intelligemment par une description de prise de photographie et une adresse au lecteur, puisque le pronom utilisé est « vous ». Tout de suite, Olivier Paquet cherche à nous inclure dans son livre, à nous interpeller. Et cela fonctionne, même si, finalement le « vous » n’est pas vraiment « nous », juste un « nous » possible. Mais cela permet de faire la connaissance d’Esther (un prénom décidément fréquent dans mes lectures actuelles : c’est ainsi que se nomme l’héroïne de L’aube est bleue sur Mars, de Florence Hinckel), qui a inventé le concept d’archécologie : en fouillant dans les photographies banales et privées, on tente de reconstituer la réalité d’un paysage transformé depuis par l’urbanisation. Il s’agit d’améliorer écologiquement parlant ces zones, tout en collant à un imaginaire collectif ancien. Pas celui des plaquettes institutionnelles vantant, à grand renfort d’images de synthèse exagérées le futur de ces lieux. Non, plutôt l’arrière-plan de photographies prises sur le vif, au hasard. Ainsi, on s’approche de la vérité globale, d’une représentation qui parle à la majorité. Pas la réalité, mais une image fantasmée par la plupart. Et cela fonctionne.
Substitution d’image
Cependant, un jour, Esther s’aperçoit que quelqu’un a changé une des nombreuses photographies qu’elle conserve dans son cloud personnel. C’est subtil et elle l’a raté au début : en fait, on a remplacé une photo prise de son balcon quand elle habitait avec son père par une autre photo prise un balcon plus haut. Quel est l’intérêt d’une telle substitution ? Le mystère s’épaissit quand on découvre le deuxième personnage central de ce roman. Vincent est policier. Il s’occupe d’interroger les enfants victimes d’abus sexuels. Il est bon dans ce domaine, entre autres parce qu’il a vécu lui-même, dans son enfance, un traumatisme terrible dans sa famille proche. D’ailleurs, son père est toujours en prison. Et tout le monde le surnomme « le fils du monstre ». Lui aussi va subir un vol de photo. Et pour accompagner cette disparition, on note comme un changement de caractère de ces individus. Mais est-ce objectif ou une simple impression ? Difficile à dire, puisque nous ne les découvrons qu’à travers leurs yeux, leurs sensations. Mais cela peut faire penser, de loin, à un roman de Philip K. Dick où la réalité est manipulée, déformée, transformée. Une photographie, donc un souvenir, peut-il avoir une telle importance dans la construction d’un individu que sa disparation pourrait provoquer un changement de caractère, donc de vie ? Et parvenir à une amélioration de l’existence de la personne lésée ?
Société en miettes
En arrière-plan de ces histoires de disparitions, Olivier Paquet peint, par petites touches, la description terrible d’une société en plein délitement. Le covid et ses confinements sont passés par là. Un nouveau mouvement social est apparu : les foulards blancs. Ils revendiquent aussi avec certains débordements, comme autrefois les gilets jaunes. Et les week-ends se transforment en scènes d’émeute et de violence. Guidés en cela par un certain D. (qui fait penser au Q de la mouvance américaine Qanon), qui sait appuyer là où ça fait mal. En plus, le nouveau président, un écologiste, ne fait pas l’unanimité. Il apparaît plutôt comme un « politicard » typique, plus opportuniste que réellement préoccupé par le bien-être du pays et de ses concitoyens. Sur la quatrième de couverture, la citation de Télérama évoque évidemment Alain Damasio. C’est bien normal. Olivier Paquet s’interroge apparemment également sur la déliquescence de notre société : que reste-t-il pour nous lier ? Comment pouvons-nous encore vivre ensemble sans l’aide, et donc la surveillance constante, des I.A. ? L’être humain n’est-il plus capable de créer des conditions raisonnables et faisant sens nécessaires à une vie en commun ? Lui faut-il se mettre entre les pattes de machines comme des dieux décidant pour lui ce qu’il convient de faire, dans quelle direction se rendre ? Composite n’offre pas réellement de réponse. On sent que le docteur en science politique se pose des questions. À partir d’un constat qu’on peut contester, mais qui est étayé, il montre jusqu’où on peut aller et prend son lecteur entre quatre yeux. Et maintenant ? On laisse faire jusqu’à l’explosion ? L’enquête menée par Esther et Vincent ressemble parfaitement à une enquête policière, avec interrogatoire et fausse piste, recherche d’indices et pistes à vérifier. Même si elle se fait hors du cadre légal. Mais elle n’est pas qu’une recherche de coupable. Elle aboutit à une réflexion, une prise de conscience nécessaire.
Composite est donc un roman hybride, au rythme propre, à l’imaginaire torturé et dérangeant car proche de notre réalité. Mais il est un récit important car il oblige à se poser des questions. À ne pas se contenter de vivre au quotidien en espérant que les choses iront mieux d’elles-mêmes ou grâce à l’action des autres. Il pousse à s’interroger sur notre vie, sur notre société, sur notre désir de vivre ensemble et pas seulement chacun de notre côté. Mais aussi sur le poids des souvenirs et de la famille dans notre existence. Peut-on se construire sans oublier certains passages de nos vies ? Pour tout cela, Composite est un roman indispensable.
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