Le roman d’Olivier Paquet est donc plus composite et complexe qu’il n’y paraît.

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Recomposer la mémoire pour construire un avenir

A travers deux trames principales, Olivier Paquet construit un thriller technico-futuriste qui nous interroge sur le souvenir et la manipulation de ceux-ci à l’ère numérique. L’histoire se déroule autour d’Esther et de Vincent. La première est « archécologue » : elle réhabilite des espaces naturels à partir des archives numériques qu’elle peut glaner dans les enregistrements vidéos ou photographiques disponibles sur la toile. Le second est policier : il traque les pédophiles grâce à l’intervention de « Chéris », des intelligences artificielles censées attirer les pédophiles en incarnant des personnalités infantiles. Sans oublier Manon, qui utilise des logiciels d’IA pour évaluer la valeur (à travers sa potentielle popularité) d’un artiste avant de le produire, et happée par Esther et Vincent pour tenter de dénouer les nœuds de leur affaire.

Tout part du moment où Esther se rend compte qu’un de ses souvenirs lui a été volé et modifié. Elle cherche d’autres personnes ayant subi les mêmes vols et modifications, imperceptibles, et remonte la trace de Vincent. À eux deux, ils vont tenter de percer le mystère derrière l’auteur de ces vols et les motivations de cette personne.

Ils vont mener leur enquête dans une France en pleine crise politique fomentée par un certain « grand D. » qui sème le vent des fakenews pour récolter la tempête d’une révolte voire d’une révolution.

La manipulation, qu’elle se fasse sur des souvenirs ou des informations, est au centre de toute l’intrigue de ce roman. Les fakenews influencent les fauteurs de troubles (des foulards blancs) et les poussent à l’action. Les souvenirs modifiés d’Esther ou de Vincent provoquent chez eux un changement psychologique. Cette influence est-elle bénéfique ou pas sur la vie d’Esther et de Vincent ? Quand bien même cela est fait avec de bonnes intentions, la fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on jouer impunément avec la mémoire ? Autant de questions que le récit d’Olivier Paquet instille dans l’esprit du lecteur sans pour autant que l’auteur se place en position de donneur de leçons. C’est une posture aussi sage pour l’auteur que pédagogique pour le lecteur.

Le récit d’Olivier Paquet interroge aussi sur la manière qu’on a, en tant qu’individus ou en tant que groupes ou sociétés, de réagir aux stimulis, aux actes et paroles, qui nous entourent. La société moderne manque cruellement de nuances et les réseaux sociaux sont devenus des outils qui ne servent plus qu’à exacerber les rancunes, les différences, les haines et à promouvoir le rejet de tout ce qui n’est pas conforme à soi, à son système de pensée (quand on en a un).

Pour Olivier Paquet, la technologie n’est pas une mauvaise chose en soi et peut rendre bien des services comme traquer des criminels en ligne avant qu’ils agissent, restaurer des lieux perdus ou oubliés grâce aux souvenirs. Mais elle peut aussi grossir, comme une loupe, les travers d’une époque où tout doit être soit blanc soit noir mais où les nuances de gris ont disparu, catégoriser un sujet hautement subjectif, l’art, par le prisme de critères objectifs issus de l’analyse des réponses émotionnelles des spectateurs à de précédents spectacles, fracturer une société en poussant les travers de ses membres à l’extrême.

Olivier Paquet parvient à faire sentir au lecteur que tout ne se résume pas à une opposition systématiquement binaire et que les actes comme les pensées sont des choses beaucoup plus complexes et que c’est peut-être encore ce qui différencie l’être humain des intelligences artificielles. Mais la frontière est de plus en plus fine et la réflexion et la sagesse sont parfois plus présentes dans ces dernières que chez l’homme…

A l’image de son propos, le roman d’Olivier Paquet est donc plus composite et complexe qu’il n’y paraît. Après tout le messager n’est-il pas aussi le message lui-même ? À lire pour ne pas rester à la surface des choses et mieux appréhender un pan de notre société.

Alexandre BURG

Publié le 24 octobre 2022

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