Souvenirs photographiques trafiqués, complotismes, intelligences algorithmiques et foules en colère pour composer une brillante exploration de plusieurs chemins peu balisés de notre futur proche.
Esther est une brillante éco-restauratrice (au sens de la restauration d’œuvres d’art, et non au sens culinaire, disons-le par acquis de conscience). La petite start-up qu’elle a fondée avec deux associés remporte appel d’offres sur appel d’offres pour proposer une nouvelle donne à l’architecture paysagère, en écumant le net et les réseaux sociaux pour y dénicher des clichés incidents permettant de retrouver – ou de réimaginer en cohérence – le look & feel de lieux jusqu’alors jugés irréversiblement dégradés par l’action délétère de l’humain sur la nature. Elle réalise un jour, soudainement, elle qui passe tant de temps à filtrer les images publiques et privées des archives mémorielles de tout une chacune et un chacun, qu’un cliché spécifique, issu de ses propres souvenirs, remontant à l’époque de son adolescence lorsqu’elle fut confinée avec son père pendant la pandémie, a été modifié : un simple détail, une incohérence qu’elle finit par débusquer – mais qui donc a pu prendre le temps et la peine de procéder à cette intervention si anodine en apparence ? Prise d’un curieux doute, elle utilise les puissants mécanismes de recherche dont elle dispose professionnellement, et découvre qu’un nombre non négligeable de ces modifications non autorisées et apparemment absurdes ont été réalisées au cours des semaines passées. Elle contacte Vincent, l’une des cibles de ces substitutions, policier spécialisé de la Brigade des Mineurs, qui se consacre à l’infiltration des réseaux pédophiles et pédopornographes en utilisant des intelligences artificielles spécialisées. Associés ensemble par la force des choses dans une enquête hors du commun par laquelle ils auront à se confronter à leurs délicats passés familiaux respectifs comme à la colère sociale qui gronde, attisée à toute force par certains prédicateurs des réseaux sociaux – parmi lesquels se distingue un certain « Grand D » -, ils vont osciller au seuil d’un univers souterrain, algorithmique, inattendu et vertigineux.
Publié en 2022 chez L’Atalante, le neuvième roman d’Olivier Paquet, s’il se situe en osmose avec ses Machines fantômes de 2019, introduit de passionnantes trajectoires nouvelles dans le choc contemporain de l’économie, de la socio-politique et des intelligences algorithmiques. Travaillant au cœur les questions de mémoire et d’identité, [...] Composite n’hésite pas à emprunter les chemins détournés de la surveillance ubiquitaire [...] comme ceux des significations détournées des paysages physiques et mentaux [...] ou ceux, rôdant à la frontière des consciences lorsqu’il s’agit d’intelligence artificielle, des communications « occultes » entre programmes réputés distincts [...].
Alors même que certains codes propres au terrorisme de réseaux et à la bienveillance révoltée sont ici joliment malmenés et détournés [...], on pourra sourire à l’occasion – ou s’inquiéter – en suivant les commentaires in petto de personnages narrateurs ne ratant guère une occasion de fustiger déconstructions et intersectionnalités, ou de s’émouvoir du pouvoir de la foule (les Gilets Jaunes, démarqués ici en Foulards Blancs, semblent avoir créé un traumatisme réel chez ces protagonistes), nécessairement aveugle, dévastatrice et haineuse [...]. L’analyse discrète de certaines mécaniques complotistes automatisées de facto est particulièrement pénétrante – et rejoint par plusieurs aspects le gigantesque travail de Wu Ming 1 et de son Q comme Qomplot de 2021 -, permettant à Composite, à la charnière de plusieurs thématiques très contemporaines qui sont rarement associées dans la fiction, de s’imposer comme une lecture captivante et nécessaire.