Notre société est fracturée. Chacun se replie dans son coin, espérant le meilleur, craignant le pire, regardant les autres groupes comme des ennemis potentiels. Les écarts se creusent, les tensions s'avivent. Olivier Paquet observe cette déliquescence et tente d'y apporter une réponse. À travers une enquête policière qui sert de prétexte, il décrit les différences qui s'exacerbent et leurs conséquences délétères. Esther est archécologiste : son métier consiste à recréer des paysages en essayant de revenir à un avant détruit. Pour cela, elle compulse toutes les images des particuliers stockées dans les clouds afin de retrouver le plus fidèlement possible l'état d'esprit des lieux avant les modernisations jugées à présent destructrices. Un souci du détail dans l'image qui lui permet de remarquer qu'on lui a dérobé quelque chose. Un jour, en effet, elle s'aperçoit qu'une photographique conservée dans son propre espace numérique a été modifiée. Pas beaucoup. Mais juste ce qu'il faut pour altérer ses souvenirs. Et, chose plus étonnante encore, modifier son caractère. Et elle n'est pas la seule. Un policier au lourd passé subit une altération identique. Ensemble, ils partent en quête de l'auteur de ces larcins. Et tentent de comprendre son but...
Au cours de leurs tribulations, ils rencontrent un influenceur aigri aux propos violents et misogynes. Mais aussi la soeur de la première ministre, une informaticienne de génie, certes, mais vivant complètement isolée du reste du monde. Et, en fond sonore, les violences urbaines qui se multiplient. Car un certain D. est apparu sur les réseaux sociaux et il attise les colères des foulards blancs. Ces groupes de contestataires manifestent tous les week-ends. Et avec l'insatisfaction, la violence progresse contraignant toutes les grandes villes à se préparer aux débordements... Jusqu'à où ? Et qui est derrière tout ça ?
Olivier Paquet mêle quantité des thèmes ayant bouleversé nos vies ces derniers mois : le covid, les gilets jaunes, l'émergence en France des QAnon (le D. rappelle le Q. à la base de ce "mouvement"). Il agrège ces perturbations, leur donne presque une logique commune (mais sans aller dans les théories complotistes : il se montre plus fin, largement), comme d'autres, pour examiner l'échec apparent du vivre ensemble actuel. Et il propose une solution, hélas impossible à réaliser techniquement parlant. Et peut-être n'est-elle pas souhaitable. Sans trop divulgâcher, les A.I. seraient de la partie. C'est d'ailleurs là l'unique versant SF de ce roman, qui est avant tout un portrait réussi, mais peu réjouissant, de là où nous vivons, de ceux avec qui nous vivons. De chacun d'entre nous, en somme. Un constat brutal mais réaliste. Le ton reste malgré tout optimiste; on aimerait l'être également. Avec Composite, Olivier Paquet a su humer l'air du temps et dresser un panoramique sans appel de l'impasse où nous nous trouvons. Verrons-nous, comme lui, le bout du tunnel ?
Raphaël Gaudin