Glaçant. Les nouvelles que nous donne Jean-Marc Ligny avec constance depuis plus de vingt ans parlent des conséquences du dérèglement climatique, y compris la dernière inédite «la Horde», et ne nous épargne rien. Le scénario n’a rien de surprenant : des températures de fournaise, des ouragans, des raz-de-marée. La vie quotidienne de ses personnages se concentre sur la recherche d’ombre, d’eau, de nourriture, alors que l’électricité, nos communications modernes, toute forme d’Etat ou d’entreprise, ont depuis bien longtemps disparu. Le réchauffement a conduit ceux qui l’ont anticipé et les plus riches à migrer vers le nord ou à se parquer dans des enclaves, bulles qui sont des artefacts d’une ancienne réalité humaine détruite par sa propre mégalomanie. Dans «La route du nord», une petite fille et ses parents fuient le désert de poussière qu’est devenu leur village, pour le nord. «Maintenant le Sud commence en dessous de Bruxelles, et la mer à traverser, c’est la mer du Nord bien élargie, qui submerge une bonne partie de la Belgique, de la Hollande et du Danemark.»
Pour ces réfugiés climatiques, il a évidemment fallu payer des passeurs. L’auteur ne laisse généralement pas d’issue favorable aux candidats aux échappées vers les endroits créés pour se protéger des conditions climatiques. Corollaire encore plus effrayant : la lutte pour la survie, pour quelques gorgées d’eau ou de menus éléments de confort, a radicalisé et fait ressortir le pire chez les humains. Les petits groupes, les villages qui subsistent tant bien que mal, sont sous la menace de hordes de pillards et de formations sanguinaires («les Mangemorts» et «les Boutefeux»), qui dévastent tout sur leur passage et assassinent sans états d’âme. De la faune, il ne reste souvent que des loups affamés, des rats, des lapins qui n’ont plus que la peau sur les os. Dans le très beau texte «l’Aéroport», le narrateur voit un oiseau : «Depuis quand n’a-t-il pas vu d’oiseaux ?» C’est l’une des rares nouvelles dans laquelle se dessine un horizon et où le héros a continué à lire des livres «pour se persuader qu’il restait humain».
L’ensemble du livre dresse un tableau noir et tragique d’une époque encore loin devant nous encore que (2060, 2300), que l’écrivain appelle «âges sombres». Le troisième volet du rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), publié le 4 avril, vient rappeler que l’on court à un réchauffement catastrophique, même si les Etats respectent leurs engagements. La nouvelle «2030 /2300» se déroule à deux époques : de 2030 à 2040, on suit le journal d’un ingénieur géologue qui raconte le stockage massif de CO2 compressé dans le sous-sol de la Drôme, «l’équivalent de presque cinq ans d’émissions globales de la France au taux actuel», et deux-cent-soixante ans plus tard, les dégâts mortels des fuites du gaz sur une sympathique communauté. Ou comment les mesures prises à un moment critique vont obérer sur l’existence des humains dans le futur.
Jean-Marc Ligny explore ainsi les comportements face à la catastrophe sous différents angles : la lutte pour boire et manger, la solidarité, l’immoralité, la criminalité, la folie («Mission divine»)… Il a développé ce thème de prédilection du changement climatique et de ses conséquences dans de récents romans (il en a publié plus d’une quarantaine). Aqua™ (L’Atalante, 2006) décrit la lutte d’un petit pays d’Afrique contre une multinationale pour l’eau potable sur fond de sécheresse et de réchauffement. Dans Exodes (L’Atalante, 2012), la situation a encore empiré, la Terre est devenue une planète hostile à la vie et l’humanité condamnée, six personnages sont en quête d’issue… Les meilleurs de ces textes, d’intérêts inégaux mais jamais donneurs de leçons ou trop didactiques, sont ceux qui ont en réserve une étincelle d’humanité, souvent un brin d’amour ou une forme d’espoir qui transcende. La simplicité et la récurrence des situations, un arrière-fond relativement univoque, donnent une sorte d’éclairage sur des êtres, des lieux et des actes, qui restent à l’esprit comme une persistance rétinienne.