Cela fait plusieurs années que Jean-Marc Ligny a décidé de focaliser l’essentiel de ses scénarios de science-fiction sur le réchauffement climatique et ses conséquences pour notre planète et ses habitants à plus ou moins court terme. Dernièrement, l’auteur a notamment publié une série de romans « climatiques » abordant tour à tour la question de la pénurie à venir en eau dans certaines régions du monde (Aqua TM), celle de la quasi disparition de l’humanité à long terme en raison de la raréfaction des ressources et du réchauffement du climat (Semences) ou encore celle de l’espoir d’une amélioration des conditions de vie humaine grâce à la coopération avec une espèce de fourmis intelligentes (Alliances). On lui doit également un grand nombre de nouvelles sur le sujet, précédemment publiées dans diverses revues ou anthologies et dont dix d’entre elles viennent d’être réunies par les éditions l’Atalante dans un recueil qui propose également un texte inédit. Le cadre est le même que celui des ses précédents ouvrages, à savoir une Terre où les humains subissent de plein fouet les effets du réchauffement climatique : exodes massifs de population, canicules sans fin, pluies diluviennes et orages monstrueux, pénurie d’eau, apparitions d’espèces endémiques nocives et en passe de venir définitivement à bout de la biodiversité… Difficile à la lecture de ces nouvelles de ne pas être saisi par un impérieux sentiment d’urgence, et c’est heureux, dans la mesure où les rapports du GIEC s’accumulent et se montrent de plus en plus alarmistes (le dernier en date donne quelques années seulement à l’humanité pour redresser la barre, autant dire qu’on est plus que mal barré). Pour planter le décor de cet environnement de plus en plus hostile, Jean-Marc Ligny s’est penché sur une abondante documentation faite de rapports d’experts et d’études scientifiques qui esquissent des scénarios glaçants pour le futur.
Les nouvelles présentes au sommaire peuvent être réparties en deux catégories : l’une regroupant des textes consacrés aux effets concrets du réchauffement sur l’environnement et les conséquences sur le mode de vie des humains ; l’autre consacrée aux différents types de comportements adoptés par ces derniers en réaction au bouleversement. Dans la première catégorie, on trouve « L’ouragan », nouvelle chargée d’ouvrir le recueil et qui met en scène une vieille femme attendant le retour de son compagnon, parti pêcher en mer, lorsqu’elle apprend qu’une tempête monstrueuse va bientôt atteindre leurs côtes. Le texte est court, mais permet déjà de cerner ce que pourrait être notre avenir à moyen terme, avec l’immersion d’une partie des terres côtières, le basculement d’une large part de la population dans la misère et l’errance et le délitement presque total de l’état. Dans « Lettre à Élise », l’auteur détaille sa vision du futur tout aussi brièvement mais de manière bien plus inquiétante. La nouvelle prend la forme d’une lettre de six pages adressée par un homme à son ex et lui demandant d’intercéder en sa faveur afin de le faire entrer dans une enclave, zones à peu près préservées des aléas climatiques dans lesquelles la classe dominante s’est barricadée quand tout à commencer à partir à vau-l’eau. Le texte a l’effet d’un uppercut, tant le sort du personnage, sans domicile suite à la destruction de sa maison dans un raz-de-marée et enfermé dans un camp de réfugiés à Rennes, paraît dramatiquement inextricable. La chute, simple mais efficace, vient renforcer le sentiment de désespoir qui saisit le lecteur à la lecture de ce destin tragique qui pourrait bien être celui qui attend nos enfants et petits-enfants.
Dans « Le désert », c’est l’enjeu vital que va constituer l’eau qui se trouve au centre du texte. Là encore le texte est court, et le protagoniste a peine esquissé, mais le récit permet là encore d’imaginer les extrémités auxquelles pourrait nous réduire, à court terme, la raréfaction d’eau potable. Dans « 2030/2300 » (nouvelle déjà publiée dans l’anthologie Nos futurs éditée par ActuSF), Jean-Marc Ligny s’interroge cette fois sur les effets futurs de certaines de nos choix actuels concernant la lutte contre le réchauffement climatique. Ou comment une décision prise aujourd’hui pourrait avoir des répercussions sur nos descendants des siècles après notre disparition. Le texte est composé de deux parties : la première met en scène un ingénieur tenant un blog dans lequel il informe ses lecteurs de l’avancée d’un projet d’enfouissement sous le sol de gaz carbonique, projet jugé prometteur en terme de réduction des émissions carbones ; la seconde est consacrée à une petite communauté vivant sur les lieux près de trois cents ans plus tard et frappée d’un mal mystérieux. La construction est bien pensée et permet de faire passer le message de manière efficace. Enfin, « L’aéroport » est sans doute la nouvelle la plus positive du recueil puisqu’elle met en scène un homme qui, pour échapper à un environnement toujours plus hostile et violent, s’est lancé dans la fabrication d’une montgolfière. Un texte sans doute trop court mais qui a pour mérite d’apporter une touche d’espoir bienvenue dans cet océan de noirceur.
Je végète au milieu de dix mille récos issus de toute l’Europe et sans doute d’ailleurs, avec une ration alimentaire congrue et un demi-litre d’eau potable par jour, par 45°C en moyenne. Chaque nuit, sous mon bout de bâche, j’entends des bagarres, des coups de feu, des femmes violées, des gens égorgés. Chaque jour, les camions de la morgue viennent ramasser les victimes de la nuit, du paludisme, du choléra, d’Ebola et autres maladies exotiques, comme ce botulisme des mouettes qui les décime par milliers et qui s’avère contagieux par simple contact et mortel pour les gens faibles ou surinfectés, la majorité ici.
Les cinq autres textes du recueil se penchent pour leur part plutôt sur les diverses réactions possibles des humains à plus ou moins long terme face aux effets du réchauffement et à la disparition de notre mode de vie occidental. Dans « La route du nord », Jean-Marc Ligny met en scène une jeune fille prenant la route avec ses parents afin de gagner une zone un peu plus préservée des aléas climatiques que leur petit village, en proie depuis des années à des éléments de plus en plus violents. Cette mise en sûreté impliquant de traverser la très surveillée frontière séparant le Nord du Sud, la famille fait appel à des passeurs qui se refusent à emmener avec eux le chien de notre héroïne. A la première escale, celle-ci prend alors la fuite avec pour objectif de retrouver son village et son compagnon canin, laissé sur place. Mais la route est périlleuse, et pas seulement à cause des effets de la chaleur et du manque d’eau. L’auteur approfondit ici un peu plus des aspects de son anticipation déjà évoqués auparavant, à savoir ces communautés nomades qui se sont créées suite aux bouleversements et qui réagissent par la violence (quoi que pas toujours de la même manière) à l’agonie du monde. Il en va de même dans « Le porteur d’eau », l’un des meilleurs textes du recueil (sans doute car comptant parmi les plus étoffés en nombre de pages) et qui met en scène le maire d’un petit village entreprenant un périlleux voyage à pied pour apporter de l’eau à sa communauté au point de distribution quotidien. Là encore, l’auteur imagine un mode de vie totalement différent du notre en raison notamment de la pénurie d’eau et de la canicule permanente (soixante à l’extérieur !) et qui contraste avec celui à peu près préservé des habitants des enclaves, dont il est à nouveau question ici.
Afin d’accentuer l’idée que, bientôt, l’homme risque fort bien de véritablement représenter un loup pour l’homme, Jean-Marc Ligny n’hésite pas à mettre en scène des personnages détestables se rendant coupables des pires atrocités. C’est le cas dans « La frontière », nouvelle mettant en scène un soldat placé à la frontière séparant le Nord, un peu moins impacté, des régions du sud qui subissent de plein fouet le dérèglement climatique (on comprend d’ailleurs très vite que cette frontière se situe bien plus au nord que celle qui sépare aujourd’hui tacitement les pays nordiques et ceux du sud). Confronté à un afflux de réfugiés climatiques de plus en plus important, l’homme ne fait preuve d’aucune empathie, d’aucune humanité, jusqu’à ce que se présente aux pieds des murailles un être qu’il estime cette fois digne d’être sauvé. Là encore le texte est rude et la sensibilité dont finit par faire preuve le personnage le rend finalement encore plus terrifiant que le reste. On retrouve le même sentiment dans « Mission divine » qui met en scène un homme pris de délires mystiques et décidé à « purger » sa communauté. Court mais percutant, avec sans doute un peu trop de violence gratuite. La dernière nouvelle, « La horde » est une inédite et revient elle aussi sur la menace que risquent de faire peser sur les survivants des cataclysmes qui nous attendent celles et ceux qui seraient séduits par une religion promouvant des mesures extrêmes. Le récit met en scène un petit groupe de seniors ayant parvenu à créer une petite communauté où il fait plutôt bon vivre et menacé par le passage d’une horde de pauvres erres suivant une sorte de messie. Un couple de vieux est alors envoyé au devant de la troupe afin de tenter de lui faire changer de trajectoire par la ruse. Là encore, on s’attache aux personnages et on se laisse facilement prendre par la tension qui imprègne le texte. Tout juste peut-on regretter un final comportant une incohérence un peu trop grosse.
Toujours dans l’objectif de documenter et d’imaginer ce que pourrait être notre avenir à court, moyen et long terme en raison du réchauffement climatique, Jean-Marc Ligny multiplie les romans et les nouvelles plus réalistes, et par conséquents plus glaçants, les uns que les autres. Qu’il se consacre aux effets concrets sur l’environnement liés au manque d’eau, à l’amplification des catastrophes naturelles ou à l’installation d’une canicule sans fin, ou qu’il décide de mettre l’accent sur l’héclécticité des réactions humaines au bouleversement, l’auteur pousse, texte après texte, un cri d’alarme auquel on ne peut rester insensible et qui renforce chaque fois un peu plus la prise de conscience du désastre à venir (et même déjà là). Désespérant mais, paradoxalement, mobilisateur.