Dans ces nouvelles, on retrouve son style, la beauté de son écriture, et aussi les questions qu'il nous incite à nous poser, même si l'on essaie de détourner les yeux.

Dix légendes des âges sombres - Kimamori
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C'est avec joie que j'ai découvert la liste des ouvrages sélectionnés pour le Grand Prix de l'Imaginaire du festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, sur laquelle sont présents de nombreux romans que j'ai découverts cette année et dont les chroniques se trouvent déjà sur le site ou sont en passe de l'être. 
Parmi ces titres prestigieux, on peut citer un recueil de nouvelles qui a été pour moi un véritable coup de cœur, comme cela avait déjà été le cas avec "Alliances", l'un des romans précédents de l'auteur, Jean-Marc Ligny ; Dix légendes des âges sombres, en lice pour la catégorie "Nouvelle/Novella francophone". On y retrouve des nouvelles écrites sur une période d'une vingtaine d'années, anciennement parues auxquelles s'ajoute une inédite, La Horde, un texte d'une très grande puissance. Certains textes s'imbriquent dans deux précédents romans de l'auteur, Aqua et Exodes.
Nous y retrouvons les thématiques chères à l'auteur mais qui nous concernent tous, à savoir les changements climatiques, les futurs possibles pour l'humanité et les façons dont elle pourra tenter de s'adapter.

Jean-Marc Ligny est un des grands noms de la littérature française d'anticipation. Dans ces nouvelles, on retrouve son style, la beauté de son écriture, et aussi les questions qu'il nous incite à nous poser, même si l'on essaie de détourner les yeux. La Terre se remettra, elle se remet toujours. Mais la vraie question est de savoir comment la nature et la faune évolueront et comment nous allons perdre, inévitablement, notre place dominante.

Une zone artisanale en friche arbore les carcasses dénudées de bâtiments industriels, entourés de vestiges de parkings envahis de moisine, où achèvent de pourrir deux ou trois épaves de voitures sableuses et mangées de rouille. Au milieu du village, un pont effondré, rafistolé de bric et de broc, enjambe la rivière. Quelques panneaux solaires décatis s’étalent sur les toits des maisons. Quatre éoliennes tournent en grinçant. Surgissant au-dessus des collines pelées, le soleil se lève sur cette désolation, énorme, enflé. La journée s’annonce torride, comme d’habitude.
 
Les nouvelles s'articulent souvent autour d'une recherche ; celle de l'eau, d'un coin d'ombre, d'une terre promise et vivable, de la nourriture, mais aussi une quête de paix et d'une certaine tranquillité. La survie des uns dépend aussi,  beaucoup,  de la violence des autres (Mangemorts, Boutefeux ...). Ces textes, classés par ordre de parution, dressent le constat parfois dramatique qui nous attend (La Horde, qui a conclu le recueil, apparaît comme un épilogue doux-amer) mais dans lequel on peut toujours percevoir quelques éclats de lumière et de bonté. L'action se déroulant dans des régions françaises (en tout cas pour un grand nombre), toutes les problématiques climatiques deviennent concrètes, l'auteur fait le choix de ne pas placer sa narration au bout du monde, mais bien à nos portes pour nous rappeler que nous n'y échapperons pas non plus.

J'ai aimé toutes les nouvelles, mais si je devais parler de mes favorites, je commencerais par La Horde, nouvelle dans laquelle un village survit tant bien que mal, avec quelques animaux et un potager. Jusqu'au jour où une horde de trois cent personnes, menée par un leader prophétique, marche dans leur direction. J'ai aussi beaucoup apprécié 2030/2300 pour son côté scientifique et documenté très poussé et sa chronologie avancée. On y suit l'évolution du stockage massif de CO2, décrit par un ingénieur géologue, puis les dégâts provoqués par ce stockage dans la région. Et enfin Le Porteur d'eau, où un homme se voit obligé de partir loin de son village, sous un soleil meurtrier, dans l'espoir de ramener de l'eau potable à ses habitants, et à sa femme qui souffre d'un cancer. On y découvre à quel point nous ne serons pas tous logés à la même enseigne. Laissez-moi maintenant vous présenter les sept autres histoires sombres.

Dans l'Ouragan, Elodie est inquiète. Elle guette la mer, sale et dangereuse, à la recherche de son mari parti pêcher. En quelques pages, nous sommes plongés dans une ambiance survivaliste, où l'entraide va de paire avec la méfiance et où le mois de février est déjà une fournaise.
Lettre à Elise est une missive, envoyée à une ancienne petite amie vivant dans une enclave protégée, dans laquelle le narrateur raconte sa vie tragique de réfugié climatique dans l'espoir qu'elle lui trouve une place auprès d'elle.
Vient ensuite La route du Nord. Cette fois, l'histoire est racontée à travers un journal rédigé par une narratrice prête à tout sacrifier pour vivre avec son chien. Alors qu'elle tente de rejoindre des terres dans le Nord avec ses parents, elle est soudain séparée d'eux et livrée à elle-même avec Miro, son fidèle ami. 
Dans Mission Divine, on devine sans peine que le personnage d'Hans Meyer a déraillé. Persuadé d'être un interlocuteur de Dieu, ce dernier envoyant d'ailleurs toutes les calamités climatiques pour punir les Hommes, Meyer fait tout ce qui est son pouvoir pour survivre et déjouer les pièges du Malin …
Le Désert est texte captivant, qui se ressent, dans lequel nous suivons une femme, postée et armée, guettant un voleur d'eau.
La frontière part d'un postulat plus convenu. Un soldat dénué d'empathie est en poste au niveau d'une frontière, et sa mission est de tirer sur tous ceux venant du Sud et tentant de s'approcher de trop près. Et il prend son rôle très à cœur. Jusqu'au jour où ses coéquipiers ne comprennent pas sa réaction face à un petit être vivant qui, lui, ne le laisse pas de marbre.
Dans L'aéroport, enfin un peu d'espoir. Un homme, seul avec des livres, passe dix ans de sa vie à réparer un engin qui pourra lui permettre de partir à la recherche d'une terre, plus hospitalière.

Publié le 25 avril 2023

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