Voici un roman de fantasy humoristique qui s'amuse des codes du genre tout en critiquant la société actuelle.

L'instinct du Troll - Chronique littéraire
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La plume de l’auteur est simple et efficace, et si elle s’amuse quelques fois avec les registres, elle joue avant tout avec les différentes ficelles humoristiques. Alors qu’on retrouve parfois au sein d’un ouvrage les mêmes ressorts pour créer l’effet tant désiré, on s’aperçoit rapidement ici de la capacité de l’auteur à les alterner avec ingéniosité, ce qui évite l’effet de redondance, mais aussi l’impression de forcer le rire du lectorat. A ce titre, je remercie l’auteur de la discrétion avec laquelle il insère la plupart de ses références culturelles. Si ce n’est le passage avec de petits hommes bleus que j’ai trouvé trop appuyé (notamment en les faisant parler), j’ai apprécié qu’on me laisse la possibilité de faire le lien par moi-même. Bien entendu, l’auteur ne se contente pas de références à la pop-culture, il joue aussi avec les clichés du genre, le comique de situation, les jeux de mots ou encore la satire sur notre société actuelle. Il se moque tout autant de lui-même et du lecteur, notamment dans le tout dernier dialogue du roman (si comme moi vous vous êtes posés la question durant toute votre lecture, vous devriez vous en rappeler  ). L’humour du roman est donc bien dosé, et étant plutôt difficile sur le sujet, je dois dire que j’ai vraiment apprécié.

   Comme j’ai pu le signaler, le texte ne se découpe pas en chapitres, mais en épisodes. Ce n’est pas pour autant un recueil de nouvelles, mais bien une histoire complète, composée de quatre aventures qui se déroulent dans un ordre chronologique, et qui rapportent chacune des éléments importants pour le dénouement final. Cette structuration est plutôt rare au sein de mes lectures, mais je la trouve adaptée à l’aspect humoristique du texte. En effet, le côté épisodique n’est pas sans rappeler les sitcoms du format audiovisuel, ce qui rend le rythme de lecture agréable et donc, à mon sens, appréciable pour la plupart des lecteurs.

   Notre protagoniste est un troll dont on ne connait pas le nom (car on suit l’histoire de son point de vue) de quelques milliers d’années, qui s’épanouit dans les mines au milieu d’une ribambelle de nains. Son rôle de contremaître n’est pas dû au hasard, son lien puissant avec la terre lui permet autant de détecter les matériaux précieux que de percevoir les secousses des ouvriers qui piochent à l’heure du déjeuner (et l’heure de la pause, c’est l’heure de la pause !). Personnage agréable à suivre, il nous montre par ses yeux ce monde un peu barré dans lequel il évolue, ce qui nous change de la traditionnelle vision de l’humanité.

    Autre personnage récurrent, Cédric, son humain de stagiaire, qui débarque en pensant tout savoir mieux que son aîné, mais qui va rapidement être confronté à la réalité (Ah ! Ces jeunes sortis de leur master qui pensent être plus compétents parce qu’ils savent utilisé le dernier logiciel… mais oublient leur cerveau en cas de panne de courant…  ). Pour être honnête, je trouve qu’il manque un peu de personnalité, et sert surtout à faire avancer l’intrigue, notamment en introduisant son ami Sheldon et Brisène, la fille du chevalier Percival. Un peu dommage, car je lui trouvait du potentiel, notamment dans ses interactions avec son supérieur. On se rattrape avec la trollesse, personnage intriguant qui arrive tardivement, mais qui semble bien plus présent dans le second tome (en espérant que les personnages féminins y soient globalement davantage représentés…).

   Parmi les personnages secondaires, vous retrouverez des nains qui aiment tant piocher qu’il faut les surveiller pour qu’ils ne fassent pas écrouler la mine, des humains qui réfléchissent tellement qu’ils se prennent pour les maîtres du monde, des trolls qui découvrent les vacances et provoquent des embouteillages… et des licornes aussi. Pas bien fraîches, les licornes.

   L’univers est probablement le point le plus difficile à décrire. Il s’agit d’une réécriture fantasque de la Terre, avec la présence du bestiaire féerique récurrent des contes et romans de fantasy. Trolls, gobelins, licornes et nymphes, tous se côtoient, au même titre que les hommes. Et tout ce beau petit monde hérite de caractéristiques loufoques, la plupart inspirées des clichés du genre. Ainsi, les nains boivent de la bière pour se distraire, car ils aiment tant piocher qu’ils espèrent faire des heures supplémentaires dans les mines, au risque de créer des éboulements. Vaguement évoqués, les elfes sont quant à eux des hippies défenseurs de la nature. Mais le plus intéressant et développé reste la culture des trolls, que ce soit la nourriture, la musique, ou encore le sexe (si si ).

   Si les espèces ont des caractéristiques facilement identifiables, c’est en revanche plus compliquer de comprendre comment fonctionnent la magie et la technologie. Certes, j’apprécie les références aux univers virtuels et à l’industrialisation abusive, toutefois j’ai été un poil gênée lorsque les détails technologiques se sont multipliés sans évoquer de véritable lien avec la magie mentionnée dans la première aventure. J’ai eu cette impression que le premier texte (que j’ai par ailleurs préféré aux autres) ne faisait pas partie du même univers que le reste, que l’auteur n’avait pas pensé le tout en une seule fois, mais avait ajouté l’aspect technologique par la suite. Alors, certes, on pourra me dire que c’est volontaire, une sorte de parodie du TGCM, mais pour moi, l’humour n’empêche pas une certaine cohérence, même dans l’absurde. Heureusement, cela n’empêche pas d’apprécier l’ensemble de l’oeuvre, qui reste drôle et pertinente sur les sujets qu’elle aborde.

   Notre troll sans nom se voit recadré par son supérieur pour ne pas avoir rapporté les notes de frais de sa dernière mission. Pour le punir, ce dernier invoque la plus terrible des malédictions : l’affectation d’un stagiaire. C’est donc avec son jeune apprenti Cédric, humain persuadé d’être prêt pour le terrain, que notre troll entreprend sa pénible quête : convaincre les patrons des établissements où il s’est arrêté de lui remettre des factures.

   Voici donc la base de ce roman de fantasy humoristique : s’amuser des codes du genre tout en critiquant la société actuelle. Et ne vous y trompez pas, tout le monde en prend pour son grade, que ce soit ces idiots de vacanciers qui décident de tous partir en même temps au même endroit, ces jeunes gens déconnectés du monde mais bien connectés à leurs jeux, ces vieux de la vieille incapable de se défaire du passé, ces gens d’en haut désireux de tout s’approprier… Les sujets traités sont assez larges et très actuels, même si certains, comme l’homosexualité, le féminisme ou l’écologie, sont un peu plus subtiles à détecter. Bref, une critique de l’absurdité du monde de l’entreprise, du capitalisme et des univers virtuels qui devrait parler à plus d’un lecteur.

   A noter que l’auteur se moque aussi à plusieurs reprises de l’importance que l’on donne à la véracité des histoires et des légendes, la plus mémorable concernant le mythe d’Excalibur que vous ne verrez plus jamais de la même façon.

   L’instinct du troll est une découverte qu’il me tardait de faire et qui m’a plutôt convaincue par son aspect de satire loufoque sur la société actuelle. En utilisant avec efficacité des différents ressorts humoristiques et références à la pop-culture, Jean-Claude Dunyach critique aussi bien les clichés de la fantasy que les absurdités de nos administrations et du système capitaliste. Peut-être un peu plus de personnages féminins pour le prochain tome ?

Publié le 19 septembre 2019

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