De M.R Carey j’avais surtout lu Celle qui a tous les dons, un post apo zombiesque où l’on suivait les péripéties d’une jeune zombie douée de conscience et certains de ses camarades dont une médecin. S’opposaient alors devoir et science, conscience et déontologie touchant certainement le plus profond de notre commune humanité. Je ne dirais pas que Le Livre de Koli fonctionne sur les mêmes dichotomies mais plutôt qu’il s’en empare de nouveau, plus profondément, plus intimement, dans un monde encore une fois dévasté, comme s’il n’y avait que dans notre survie que ces questionnements pouvaient émerger.
Raconté à la première personne par Koli lui-même, alors à la fin de sa propre histoire donnant lieu à divers « mais vous ne le saurez que plus tard », « j’avais tout faux », etc., le texte surprend d’abord par un vocabulaire, une phrase, particulier, just a word utilisant le terme d' »abâtardi » là où je dirais peut-être plutôt appauvri en un sens, nouveau dans un autre. Parce que le monde a changé. Les plantes, génétiquement modifiées à l’excès pour être replantées à l’infini, se sont rebellées et engloutissent, empoisonnent, mordent et dépècent ceux qui n’y prennent pas garde. Les rares grappes d’humain à avoir survécu aux guerres, aux bouleversements climatiques et à cette nature vengeresse ce sont réunis derrière des ramparts. C’est dans l’une de ces villes de quelques 200 âmes, Mythen-Croyd, qu’a grandi Koli dans l’étreinte lointaine de sa mère et de ses sœurs, travaillant à la scierie. Leur plus gros travail ? Faire en sorte que les arbres coupés soient définitivement morts en les baignant dans des produits toxiques. Parce que des planches de bois qui reprennent vie dans des maisons ça s’est déjà vu, et c’était pas joli-joli.
Bref Koli est au début de sa vie, quinze ans, et il doit passer l’épreuve. L’épreuve c’est un peu une formalité, on se place devant des « techs » ces objets des anciens mondes, on les touche et on prononce son nom. Si le tech s’éclaire c’est qu’il a reconnu son nouveau propriétaire et alors, place à la fête, un nouveau Rempart est né. Rempart Couteau, Rempart Mémoire, Rempart Flèche, Rempart Feu… lls ont tous été choisi par une tech qui leur permet de protéger la cité des menaces extérieurs mais qui les placent aussi largement au dessus des autres. Pouvoir, mémoire, secrets. Il possède tout. Et étrangement seuls les Vennastins semblent être capables de rallumer les techs.
Pourtant Koli est devenu Koli Woodsmith, avant de devenir Koli Rempart, puis Koli Anonyme. Cette histoire je vous laisserai la découvrir, c’est son histoire à lui pleine de rencontres, d’obstacles, de violence. Parce qu’on entre pas dans la forêt sans en subir les conséquences…et même au sein d’une nature meurtrière, la rage des hommes, leur folie, semble n’avoir aucune limite.
Oui c’est un récit d’apprentissage, un premier tome qui se met doucement en place, pièce après pièce, nous offrant petit à petit l’histoire de ce monde, la place de Koli Anonyme, Ursula l’Itinérante, Monono Aware la tech DreamSleeve, une intelligence artificielle à laquelle on s’attache étrangement en même temps elle lance du Lady Gaga et elle est peut balancer des alarmes supersoniques, comment ne pas l’aimer ? Il peut sembler classique…et pourtant.
Pourtant, Mike Carey arrive de nouveau à créer une histoire crédible, immersive, aux détails foisonnants, où la langue de Koli et des habitants nous enveloppent. L’auteur, à travers son héro, se fait conteur, enchanteur, on est pris par le récit comme engoncé dans la forêt. Difficile d’en sortir. Tellement agréable de s’y plonger, malgré les réflexions qui piquent, la violence qui hérisse. De nouveau, on se retrouve happé dans des problèmes philosophiques, politiques, moraux. Doit-on se plier au joug d’un petit groupe pour survivre ? Est-ce que la peur et le mensonge sont les seules clés pour protéger dans un monde devenu hostile ? Est-on Rempart par l’arme ou dans l’âme ? Plus loin dans le récit, une fois quittée la loi martiale, Koli se retrouve confronté à une autre des nombreuses facettes de l’homme : son besoin de croire, de suivre, de se retrouver, d’avoir un but. Le besoin d’un nouveau messie. Senlas et son culte messiaque croient en un monde d’après… qui serait comme le monde d’avant. Plein de lumière et de paix, où seule la purification par le feu de milliers de jeunes gens semblerait être le chemin.
L’auteur n’offre aucune réponse et préfère nous donner à lire un personnage plein de nuances, au regard ouvert, quasi innocent, qui n’aura de cesse de s’interroger sur ce qui l’entoure et d’interpeler à son tour le lecteur. Un parti pris qui fonctionne parfaitement sur moi.
En résumé
A travers un récit post-apocalyptique assez classique (survie, nature dangereuse, clans…), Mike Carey pose les bases d’un univers fascinant, riche de réflexions sur le monde, immersif par sa langue, appauvrie ou imparfaite, où Koli, innocent, naïf, un peu idiot, offre une vision clairvoyante et pleine de nuances sur la nature humaine. Entre questionnements écologiques, philosophiques, moraux, Le Livre de Koli est un premier volume passionnant qui s’ancre brillamment dans un imaginaire contemporain.