Excellente entrée en matière dans un monde où la fin semble justifier les moyens, Le livre de Koli est à la fois un « coming of age » réussi, une histoire postapocalyptique intelligente et un livre-univers convaincant.

Le livre de Koli - Just a word
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Auteur de premier plan au Royaume-Uni, Mike Carey (aussi connu sous le nom de plume de M.R Carey) est surtout connu dans le monde de l’imaginaire pour ses comics (Hellblazer, The Unwritten…) et son roman horrifique/postapocalyptique Celle qui a tous les dons (adapté en long-métrage par Colm McCarthy en 2016).
Après la publication de La Part du Monstre (suite de Celle qui a tous les dons) aux éditions L’Atalante, c’est cette fois Le Livre de Koli qui nous arrive en France sous une traduction signée Patrick Couton.
Premier tome d’une trilogie, Le Livre de Koli nous emmène dans un univers postapocalyptique à travers une Angleterre en ruines et où il ne fait pas bon se promener seul dans la forêt…

Raconter l’après

Écrit à la première personne, l’histoire du Livre de Koli nous est rapportée sous forme de simili-journal intime par… Koli lui-même !
Ce jeune homme de quinze ans vit à Mythen-Croyd, un petit village fortifié du nord de l’Angleterre (ou Engleterre comme nous l’explique Koli) où survivent deux cents personnes bien à l’abri des palissades et sous la protection d’un groupe de personnes appelées les « Remparts ». Chaque « Rempart » (Rempart Feu, Rempart Flèche, Rempart Mémoire ou encore Rempart Couteau) utilise un « tech » bien précis pour participer à la défense du village contre les dangers qui guettent les survivants.
En effet, dans le monde de Koli, des guerres ont mis fin à l’humanité telle que nous la connaissons et la crise climatique n’a, semble-t-il, rien arrangé du tout. Pire encore, suite à des manipulations génétiques inconsidérées pour pouvoir replanter rapidement et efficacement des plantes et des arbres, la flore est devenue dangereuse pour l’homme, carnassière et empoisonnée.
À Mythen-Croyd, les habitants éprouvent donc un respect mêlé de crainte pour les « Remparts » à la fois protecteur et décisionnaire de la communauté. Pourtant, à l’aube de son rite de passage vers l’âge adulte, Koli s’interroge sur la mainmise d’une seule famille, les Vennastin, sur les « techs » de l’ancien monde.
Vous l’aurez compris, Le Livre de Koli se présente comme un énième roman de passage à l’âge adulte pour son personnage principal et narrateur, le jeune Koli. Avec une efficacité remarquable cependant. Mike Carey, en brillant scénariste, nous offre une histoire finement calibrée et rythmée (avec un découpage en 56 chapitres courts) qui nous fait littéralement rentrer dans la tête de Koli et comprendre sa façon d’appréhender le monde.
Un monde à la fois familier pour le lecteur (qui va décrypter dans le vocabulaire abâtardi de Koli les nombreux termes qu’il connaît déjà) et exotique (pour les nouveaux dangers que recèlent la forêt et les environs de Mythen-Croyd, sans parler des croyances des habitants).
La première partie du Livre de Koli consiste donc en une installation d’univers à la fois convaincante et immersive (grâce au langage approximatif employé par le narrateur et brillamment retranscrit par Patrick Couton) tout en permettant l’empathie avec les personnages présentés, à commencer par Koli lui-même et ses amis proches, Haijon et Toupie.
Mais davantage qu’une description d’un univers postapocalyptique de plus, le roman va très vite se lancer sur des trajectoires plus intéressantes…

La nécessité du pouvoir

Le Livre de Koli va vite s’intéresser à la position de pouvoir de la famille Vennastin au sein de Mythen-Croyd et l’arrivée d’Ursula, une « itinérante » qui en sait beaucoup plus long sur le monde d’avant et d’après, va remettre en question toutes les croyances de Koli sur son monde de vie.
Mike Carey montre ici l’importance du contact avec le monde extérieur et le point de vue de l’autre, celui qui se situe en dehors de la communauté, pour pouvoir poser un regard neuf sur sa propre société, sur ses propres croyances.
À partir de cet éveil critique, Koli devient le moteur du changement, un changement que l’on savait déjà en germe chez lui et qui repose tout entier sur deux traits de caractère : la curiosité…et l’ambition. C’est grâce à ces motivations (parfois purement égoïstes) que Koli va découvrir les mensonges qui l’entourent et détricoter un système de croyances qui ne sert qu’à une seule chose : garder le contrôle sur la communauté.
Mais là où les choses deviennent intéressantes, c’est que Mike Carey ne juge pas forcément de façon péjorative les responsables mais tente d’expliquer leurs motivations par le contexte et par les impératifs de la survie.
Quand peut-on estimer que l’emprise sur une population, par le mensonge ou par la supercherie, est-elle légitime pour la protéger d’elle-même ou du monde extérieur ?
La suite de l’histoire de Koli n’apportera pas forcément de réponse pleine et entière mais plutôt de nouveaux points de comparaisons sur ce qui reste comme alternatives aux hommes dans un monde plein de dangers et bien loin des structures sociales d’antan.

Avoir la foi

Lâché dans la nature, Koli va (re)découvrir ce qui l’entoure et prendre conscience de pas mal de choses. Après la « dictature » des Vennastin, il va connaître le culte messianique de Senlas et des Bannis. Une autre façon de reformer des communautés et de jeter des bases sociales neuves (ou presque..), aussi extravagantes puissent-elles être, mais qui permettent de réaffirmer une fois encore que l’être humain est un animal de croyance qui a besoin de croire en un leader, en un avenir, en un après. De nouveau, Mike Carey ne porte pas de véritable jugement mais constate la nécessité pour l’homme de se regrouper et de vivre en société, quelque soit les fondements de celle-ci, qu’ils soient religieux ou autoritaires. Ce qui est vraiment intéressant, c’est le cheminement de Koli face à ces différentes confrontations et à son évolution face au monde et aux possibilités que lui offrent sa nouvelle liberté de penser.
Très en phase avec l’actualité, Le Livre de Koli parle également en filigrane du caractère auto-destructeur de l’homme et de sa propension à jouer avec le feu jusqu’à ce qu’il se brûle, notamment sur le plan environnemental. Même si on ne sait pas encore tout à propos de la genèse du conflit qui a porté le coup de grâce à la civilisation moderne et encore moins sur ce qu’il s’est passé ailleurs (et sur l’Internet notamment), le roman joue sur la différence de perception entre Koli et d’autres personnages plus au fait des réalités comme Ursula ou la truculente Monono.
Même si le cheminement global de l’histoire ne sera pas une grande surprise pour les amateurs d’histoires postapocalyptiques, Mike Carey se révèle assez malin et talentueux pour toucher le lecteur à travers le personnage tout en nuances de Koli et du monde qui l’entoure. Et c’est déjà beaucoup.

Excellente entrée en matière dans un monde où la fin semble justifier les moyens, Le livre de Koli est à la fois un « coming of age » réussi, une histoire postapocalyptique intelligente et un livre-univers convaincant. Mike Carey sait parfaitement rythmer sa narration et construire des personnages nuancés offrant au lecteur un voyage à la fois passionnant et en prise avec l’actualité.
Vivement la suite !

Note : 8.5/10

Publié le 12 novembre 2021

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