Un récit plein de sensibilité, qui se dévore avec plaisir et dont on ressort frustré de ne pas avoir aussitôt la suite à portée de main.

Le Livre de Koli - Le Bibliocosme
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Quand la nature prend sa revanche

Popularisé en France par son roman à succès Celle qui a tous les dons, M. R. Carey revient chez l’Atalante avec une nouvelle trilogie post-apo, cette fois sans zombies. Le premier tome est paru fin 2021 et les deux suivants sont d’ores et déjà prévus pour cette année, ce qui devrait rassurer les lecteurs échaudés à l’idée d’entamer une nouvelle série sans certitude de pouvoir lire la suite en VF. Le roman se déroule dans un futur éloigné, dans les ruines de ce qu’on devine être notre monde, et plus spécifiquement en Angleterre où les humains se sont regroupés en petites communautés indépendantes. Dans un environnement désormais ouvertement hostile, dans lequel végétaux comme animaux ont muté au point de devenir létaux, on découvre la vie de l’un de ces villages, celui de Mythen-Croyd dans lequel vit Koli, un adolescent doux et rêveur dont la plus grande ambition consiste à devenir Rempart. Très hiérarchisée, la communauté a en effet pour coutume de répartir les individus en différents groupes, le plus prestigieux étant celui des Remparts qui assument le rôle de protecteurs du village à l’aide de « techs », vestiges technologiques de notre temps dont une poignée seulement fonctionne encore. Alors qu’il s’apprête à rentrer dans l’âge adulte, Koli va enfin participer à la cérémonie qui déterminera s’il pourra ou non se revendiquer comme Rempart. Bien que ses chances soient particulièrement minces puisque, pour des raisons obscures, les membres de cette caste très restreinte appartiennent tous à la même famille, le jeune homme ne peut s’empêcher d’espérer. Quelle n’est alors pas sa désillusion lorsqu’il découvre, par hasard, le secret bien gardé de cette famille et du fonctionnement des techs, autant de révélations qui vont totalement bouleverser sa vision du monde… et son avenir au sein de la communauté. Il s’agit ici de ma première découverte de la plume de M. R. Carey, et la rencontre aura été plus que plaisante.

Voyage dans une Angleterre post-apo méconnaissable

Le monde post-apo mis en scène ici est relativement minimaliste puisque l’auteur se contente, pour l’instant, de ne nous en révéler qu’une toute petite portion. On ignore ainsi presque tout de ce qui se passe en dehors de Mythen-Croyd et de ses environs, tout juste sait-on qu’il existe d’autres communautés proches avec lesquelles celle de Koli fait de temps à autre du commerce, mais le village a globalement tendance à vivre en autarcie. Il faut dire que l’extérieur des remparts n’incite pas à l’exploration, les arbres et plantes étant devenu agressifs envers les humains qui ont succombé par milliers suite aux assauts menés par des végétaux génétiquement modifiés dont on découvre ici quelques espèces effectivement peu sympathiques. La nature a donc en partie reprit ses droits, mais le décor n’a pour autant rien de bucolique et suscite plutôt la méfiance et l’angoisse, un peu à l’image de ce que peut proposer Jean-Marc Ligny dans ses romans post-apo. Dans ce monde dont le mode de vie s’apparente désormais davantage à celui du Moyen âge qu’à celui de notre propre époque, des vestiges de notre civilisation perdurent néanmoins, suscitant tour à tour étonnement, vénération ou incompréhension chez les personnages. On pourrait être tenté de penser que le récit des tâtonnements du protagoniste afin de faire fonctionner tel ou tel objet technologique familier aurait quelque chose d’ennuyeux, or c’est tout le contraire. L’enthousiasme et la curiosité de Koli sont incroyablement communicatifs, si bien qu’on se prend à s’extasier nous aussi de l’ingéniosité de dispositifs qu’on utilise pourtant régulièrement sans pour autant s’attarder dessus. Relativement étriqué dans un premier temps, l’univers de l’auteur s’élargit à mesure que la vision du monde de son héros s’étend elle-aussi, la relative tranquillité dont il jouissait à Mythen-Croyd ne tardant évidemment pas à voler en éclat. Les jalons posés par l’auteur concernant la suite du voyage de Koli, et les perspectives qu’il offre pour la survie à long terme de l’humanité, sont alléchants et rendent le lecteur d’autant plus impatient de plonger dans le tome suivant.

La force du récit ? Son narrateur

Si le récit parvient à embarquer le lecteur à ce point, alors même que le cadre est, pour le moment, plutôt succinct, c’est avant tout grâce à la qualité de ses personnages, et notamment de son protagoniste. Koli endosse ici le rôle de narrateur et nous raconte, à posteriori, les événements qui ont marqué cette partie sa vie, ce qui m’a cette fois fait penser à un autre roman post-apo, très réussi lui aussi, et qui possède plusieurs autres similitudes avec l’oeuvre de M. R. Carey : Un gars et son chien à la fin du monde de Charlie Fletcher. On y retrouve la même simplicité dans le décor (on est loin du post-apo spectaculaire avec zombies, catastrophes naturelles et morts par milliers) et surtout la même sensibilité. Koli est un personnage attachant et, quand bien même le roman se réapproprie souvent les codes du récit initiatique (jeunesse du héros, naissance d’une relation avec un personnage faisant office de mentor, premiers émois amoureux…), la dureté des épreuves et des choix auxquels le protagoniste est confronté l’oblige à entrer rapidement dans le monde des adultes. Notre héros a également le mérite d’échapper au cliché de l’ado tête-à-claques et touche au contraire par sa maladresse, son humilité et son envie manifeste de bien faire et de ne blesser personne. Les personnages secondaires sont eux aussi travaillés et laissent leur empreinte dans l’esprit du lecteur, qu’il s’agisse de la mère de Koli, de la médecin-nomade arpentant la région en compagnie de son automate ou encore du duo d’amis avec lequel le protagoniste a grandi. La relation entretenue entre Koli et l’IA qui entrera par hasard en sa possession est également une belle réussite et participe incontestablement au plaisir que l’on prend à suivre les pérégrinations de l’adolescent ainsi que l’évolution de sa vision du monde. L’écriture est quant à elle plaisante, très fluide, avec quelques entorses à notre grammaire et orthographe dans la manière dont s’exprime Koli (qui ne connaît par exemple pas le subjonctif…) sans que cela ne soit gênant pour autant.

Premier tome d’une nouvelle trilogie baptisée « Rempart », Le livre de Koli est un roman solide qui séduit autant par l’humanité de son personnage principal que par la capacité de l’auteur à titiller la curiosité du lecteur à propos de ce monde post-apo pour le moment encore très mystérieux. Un récit plein de sensibilité, qui se dévore avec plaisir et dont on ressort frustré de ne pas avoir aussitôt la suite à portée de main. Ça tombe bien, le second opus, Les épreuves de Koli, est justement prévu pour mars 2022 !

Publié le 18 mars 2022

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