Le Livre de Koli est du monono aware dans ce qu’il provoque chez le lecteur : un sentiment de beauté éphémère à la lecture d’une expérience qui ne durera pas, quand bien même elle restera inscrite en lui.

Le Livre de Koli - Garoupe Lectures
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Prenez un adolescent, la quinzaine, Koli, issu d’une famille de menuisiers. Mettez-le dans un monde post-catastrophe, plus précisément dans un village isolé d’environ deux cents âmes, où la technologie s’est tue et où seules quelques personnes détiennent le pouvoir d’utiliser les objets technologiques issus de l’ancien monde. Le pouvoir que ce savoir leur procure leur permet tout à la fois de défendre leurs villages et de l’asservir.

Koli rêve de devenir un de ces « Remparts » comme ils se nomment (ce statut devenant leur nom de famille). Mais, l’âge venu de passer le test face à des équipements technologiques, rate misérablement son épreuve. A partir de là, sa vie bascule, autant à cause de ses propres malheureux choix que de l’héritage involontaire que le monde post-apocalyptique fait peser sur lui.

Dans ce monde où chaque village est replié sur lui-même, Koli va faire l’expérience de l’émancipation, de la cupidité, de l’avidité du pouvoir et surtout du rejet : il va devoir quitter son village, faire preuve de courage et de bravoure voire de témérité.

Une société qui devrait être unie pour prendre soin des siens est en fait devenue une société ultraprotectrice qui vire au protectionnisme pur et dur, à l’autarcie et à l’individualisme. Elle s’organise de manière pyramidale où le pouvoir n’est pas partagé et devient l’apanage de quelques personnes qui font tout pour le garder envers et contre tout.

Si tant est que Koli rate son épreuve pour manipuler un « tech » il ne s’en lie pas moins à un de ceux-ci (je vous laisse découvrir comment, on va éviter de trop spoiler). Objet technologique mais fort peu utile quand il s’agit de se battre, celui-ci est plutôt pour Koli une source de savoir (ce qui permet au final de s’approcher le plus d’une forme de pouvoir) puis ce qui se rapproche le plus d’une amie.

Dans le récit de M. R. Carey, on croise une secte dirigée par un fou messianique, prônant le sacrifice humain au nom de son idéologie dévoyée par des rêves, des illuminations, des êtres manipulateurs, des êtres tatoués complètement hallucinés… qui donnent au récit un côté manga, notamment dans la description des choses et des événements. On dirait du 20th Century Boys mélangé à du Dragon Head (deux mangas dont je vous recommande au passage la lecture, je tenterai prochainement un billet à leur sujet).

Roman d’apprentissage pour Koli, de mise en place d’une société pour le lecteur par l’auteur, ce récit n’est que le premier d’une trilogie qui s’annonce comme une vraie réussite dans l’univers de la littérature de l’imaginaire. Malheureusement, ce premier récit a une fin, tout comme la trilogie en aura une. Et on ne peut que regretter d’en avoir commencé la lecture parce qu’on sait qu’elle devra bien s’achever un jour, laissant dans l’esprit du lecteur à la fois une trace indélébile et la tristesse de ce qui s’achève.

Le récit de M. R Carey est celui par lequel Koli doit apprendre à ne jamais regretter ce qui s’est passé mais à en tirer des leçons, des expériences qui forgeront la personne qu’il deviendra dans le futur. Il est de ceux qui marquent un lecteur et le font avancer, à l’image de son personnage central qui a tout du héros malgré lui.

« Monono Aware, c’est un nom gadget. Une expression en japonais pour un sentiment particulier. Est-ce que tu as déjà regardé quelque chose de beau, Koli, comme un coucher de soleil sur une fleur, en te disant avec tristesse que c’est éphémère ? Que ça va disparaître du monde, qu’on ne le reverra plus jamais et que personne, pas plus toi qu’un autre, ne peut rien faire pour que ça reste ? Alors, ce que tu as éprouvé, c’est le monono aware. La tristesse tout au fond de ce qui est beau. La douleur et le cafard de ce qui ne dure pas. »

Le Livre de Koli est du monono aware dans ce qu’il provoque chez le lecteur : un sentiment de beauté éphémère à la lecture d’une expérience qui ne durera pas, quand bien même elle restera inscrite en lui.

Publié le 18 mars 2022

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