Nous sommes en 1792. Ils s'appellent Emile et Cornuaud. Le premier a été élevé par un prêtre moderniste, grâce auquel il a pu bénéficier d'une véritable éducation. On le dit fils d'une enjomineuse, d'une sorcière vivant dans les bocages avoisinants. Le second, après s'être lancé dans le commerce d'esclaves, profite des bouleversements qui agitent la nation pour se faire une carrière dans la pègre. Tout les oppose, et pourtant, nous les devinons promis à un destin commun...
Dans les années qui suivirent la prise de la bastille, la crise opposant les révolutionnaires aux royalistes ne devait pas qu'aboutir à quelques têtes tranchées parmi les membres les plus éminents de l'aristocratie. S'il y eut une victime, ce fut d'abord le peuple français, pris à parti dans une lutte politique dont il ne cernait pas tous les enjeux. Lui qui rêvait de liberté, mais restait néanmoins fortement attaché à la figure paternaliste du roi, ainsi qu'à la religion catholique, devait se trouvé divisé et déchiré par des puissants qui n'y voyaient qu'un instrument politique utile. Mais attention : les apparences sont souvent trompeuses et il se pourrait que ceux qui se prétendent les défenseurs du rationalisme des Lumières soient les tenants de pouvoirs ténébreux.
L'enjomineur est le nouveau roman de Pierre Bordage, une fresque historique pigmentée de féérie. L'histoire se déroule entre la Vendée et Paris. Par les thèmes abordés (il existe des êtres dotés de pouvoirs magiques capables de modifier le cours de l'histoire) et les choix stylistiques (réalisme, dialogues en français mêlés de patois), elle fera penser aux Chroniques d'Alvin le Faiseur de Card. Les amateurs d'uchronies et les fans de Bordage en général devraient s'y retrouver. C'est avec grand plaisir que l'on découvre une fois encore un Pierre Bordage là où on ne l'attend pas. L'histoire se tient bien. Elle est ponctuée d'épisodes violents et choquants (la scène où sont égorgées les deux petites filles par exemple), qui ne vous laisseront pas de marbre ; mais aussi de ces moments où le merveilleux s'installe et nous fait oublier pour quelques instants que L'enjomineur reste un roman très sombre. Une fois de plus, une réussite.
Bibirox (07/12/2004)