L’enjomineur, c’est en quelques sortes le cycle « coup de cœur » de l’auteur nantais Pierre Bordage, lequel est aujourd’hui réputé pour ses ouvrages de science-fiction (citons entre autres Wang et Les Guerriers du Silence). Or ce dont il s’agit ici c’est bel et bien d’un roman historique teinté de fantastique. On y suit le parcours de deux hommes ordinaires - du moins au premier abord – évoluant au cœur d’une période tout bonnement passionnante : la Révolution française. Roman historique déjà car, à suivre le parcours de ces deux personnages fictifs, le récit baigne dans un environnement qui se veut historique, conté à travers le prisme de trois lieux distincts que sont Paris, Nantes et la Vendée. Il s’en dégage globalement deux mondes, celui de la campagne d’une part, du bocage en particulier, propre à tout ce quart nord-ouest de la France, où les idées nouvelles provoquent de plus en plus de mécontentement en cette année 1792 ; celui de la ville d’autre part, avec d’un côté Nantes, entourée par une campagne hostile, et qui se retrouve tiraillée entre un engouement certain pour le nouvel Ordre et son commerce. De l’autre côté Paris, la capitale du Royaume de France, où la Révolution s’autoalimente dans sa fuite en avant grâce à l’Assemblée constituante et aux divers soulèvements populaires qui la secouent. Le tout est agrémenté d’une multitude de personnages secondaires qui incarnent plusieurs archétypes de la France révolutionnaire, depuis le « calotin » jusqu’au sans-culotte, en passant par le paysan vendéen, le noble royaliste ou encore le garde national, ce qui nous permet de vivre ces évènements à travers autant de point de vue, l’auteur ayant désamorcé le piège de la caricature. Enfin, ce qui frappe lorsque l’on parcourt cet ouvrage de P. Bordage, c’est la richesse des descriptions de l’auteur, lequel s’est clairement documenté sur cette fin de XVIIIeme siècle. En effet il prodigue nombre de détails sur l’environnement d’une part, qu’il soit urbain ou rural, sur les tenues vestimentaires d’autre part, nous permettant de visualiser sans peine cette France de l’époque moderne ; sur le langage enfin, et à ce propos il faut bien dire qu’il y a un réel plaisir à se familiariser avec la forme de patois vendéen qui nous est restitué ici. Mais ce qui m’a le plus marqué c’est sans doute l’immersion dans cette mer des sens que nous impose l’écrivain, notamment de par les nombreuses descriptions des sons et plus encore des odeurs auxquels sont confrontés les protagonistes du récit, nous rappelant ainsi qu’à cette époque, l’ouïe et surtout l’odorat étaient plus importants dans la hiérarchie des cinq sens qu’ils ne le sont pour la plupart des Français d’aujourd’hui. Roman fantastique ensuite, car l’on découvre progressivement un troisième monde (aussi est-il légèrement en retrait dans ce premier tome), un monde occulte –car n’existant pour la plupart des hommes qu’à travers les légendes– où évoluent des créatures mystérieuses telles les fadets, où subsistent les héritiers des druides antiques ; un monde qui n’a cessé de décroître depuis l’avènement du christianisme qui l’a combattu et dont les derniers vestiges semblent devoir être balayé par le rationalisme révolutionnaire. Le tout se mêle dans une fluidité parfaite et est servi par une écriture agréable qui suit constamment les personnages. Le style descriptif est sobre et immersif, Bordage dressant de brefs mais complets états des lieux des cadres qu’il nous propose, mais aussi relativement cru –en effet l’auteur n’occulte aucunement les violences qui jalonnent les parcours d’Emile et de Cornuaud– ce qui ici rend le récit d’autant plus prenant. Enfin il est important de noter que l’auteur a fait le choix de la nuance au détriment du parti pris et ce en multipliant toujours les points de vues sur les évènements historiques importants, nous impliquant ainsi malgré nous car l’on ne peut s’empêcher de se demander quel camp l’on aurait choisi. Bienvenue donc dans cette France d’Histoire et de légende où Emile et Cornuaud, accompagnés d’un riche panel de personnages secondaires, vont s’efforcer de survivre voire d’exister, ballottés par les évènements ou guidés par le destin, au cœur de l’an 1792 synonyme de tumulte, de violence et de renouveau. Dans ce premier tome le rythme est rapidement donné et reste constant jusqu’à la fin de l’ouvrage qui nous fait traverser cette année révolutionnaire (à noter à ce propos qu’une vague connaissance de la période peut être un atout pour apprécier pleinement la lecture, l’auteur favorisant justement le rythme au détriment d’une myriade de définition qui aurait rendu le récit pour le moins indigeste). Le tout est accompagné d’une tension plus ou moins latente (un mal sous-jacent ronge le pays qui en surface semble chaque jour plus proche de l’implosion), mais indéniablement croissante, qui fait qu’une fois terminé ce premier pan de la trilogie de l’enjomineur, on ne peut qu’augurer du meilleur pour la suite. 7.5/10 Il ne s’agit pour l’instant que d’une entrée en matière, mais avec ce premier tome de la trilogie l’enjomineur, c’est déjà un voyage enrichissant qui vous est proposé au cœur d’une France révolutionnaire où violence et magie s’entremêlent pour vous captiver. P.S. : je n’ai pas parlé de l’édition de l’Atalante, laquelle est d’une grande qualité, depuis l’illustration de couverture jusqu’aux illustrations intérieures en passant par la carte de Vendée, disponible en début de volume, et ma foi fort utile (celle-ci n’est pas présente dans la version poche).   Léo, 1 février 2010, librairie.critic.over-blog.fr  

Bordage - L'Enjomineur 1792 - Critic Blog

L’enjomineur, c’est en quelques sortes le cycle « coup de cœur » de l’auteur nantais Pierre Bordage, lequel est aujourd’hui réputé pour ses ouvrages de science-fiction (citons entre autres Wang et Les Guerriers du Silence). Or ce dont il s’agit ici c’est bel et bien d’un roman historique teinté de fantastique. On y suit le parcours de deux hommes ordinaires - du moins au premier abord – évoluant au cœur d’une période tout bonnement passionnante : la Révolution française. Roman historique déjà car, à suivre le parcours de ces deux personnages fictifs, le récit baigne dans un environnement qui se veut historique, conté à travers le prisme de trois lieux distincts que sont Paris, Nantes et la Vendée. Il s’en dégage globalement deux mondes, celui de la campagne d’une part, du bocage en particulier, propre à tout ce quart nord-ouest de la France, où les idées nouvelles provoquent de plus en plus de mécontentement en cette année 1792 ; celui de la ville d’autre part, avec d’un côté Nantes, entourée par une campagne hostile, et qui se retrouve tiraillée entre un engouement certain pour le nouvel Ordre et son commerce. De l’autre côté Paris, la capitale du Royaume de France, où la Révolution s’autoalimente dans sa fuite en avant grâce à l’Assemblée constituante et aux divers soulèvements populaires qui la secouent. Le tout est agrémenté d’une multitude de personnages secondaires qui incarnent plusieurs archétypes de la France révolutionnaire, depuis le « calotin » jusqu’au sans-culotte, en passant par le paysan vendéen, le noble royaliste ou encore le garde national, ce qui nous permet de vivre ces évènements à travers autant de point de vue, l’auteur ayant désamorcé le piège de la caricature. Enfin, ce qui frappe lorsque l’on parcourt cet ouvrage de P. Bordage, c’est la richesse des descriptions de l’auteur, lequel s’est clairement documenté sur cette fin de XVIIIeme siècle. En effet il prodigue nombre de détails sur l’environnement d’une part, qu’il soit urbain ou rural, sur les tenues vestimentaires d’autre part, nous permettant de visualiser sans peine cette France de l’époque moderne ; sur le langage enfin, et à ce propos il faut bien dire qu’il y a un réel plaisir à se familiariser avec la forme de patois vendéen qui nous est restitué ici. Mais ce qui m’a le plus marqué c’est sans doute l’immersion dans cette mer des sens que nous impose l’écrivain, notamment de par les nombreuses descriptions des sons et plus encore des odeurs auxquels sont confrontés les protagonistes du récit, nous rappelant ainsi qu’à cette époque, l’ouïe et surtout l’odorat étaient plus importants dans la hiérarchie des cinq sens qu’ils ne le sont pour la plupart des Français d’aujourd’hui. Roman fantastique ensuite, car l’on découvre progressivement un troisième monde (aussi est-il légèrement en retrait dans ce premier tome), un monde occulte –car n’existant pour la plupart des hommes qu’à travers les légendes– où évoluent des créatures mystérieuses telles les fadets, où subsistent les héritiers des druides antiques ; un monde qui n’a cessé de décroître depuis l’avènement du christianisme qui l’a combattu et dont les derniers vestiges semblent devoir être balayé par le rationalisme révolutionnaire. Le tout se mêle dans une fluidité parfaite et est servi par une écriture agréable qui suit constamment les personnages. Le style descriptif est sobre et immersif, Bordage dressant de brefs mais complets états des lieux des cadres qu’il nous propose, mais aussi relativement cru –en effet l’auteur n’occulte aucunement les violences qui jalonnent les parcours d’Emile et de Cornuaud– ce qui ici rend le récit d’autant plus prenant. Enfin il est important de noter que l’auteur a fait le choix de la nuance au détriment du parti pris et ce en multipliant toujours les points de vues sur les évènements historiques importants, nous impliquant ainsi malgré nous car l’on ne peut s’empêcher de se demander quel camp l’on aurait choisi. Bienvenue donc dans cette France d’Histoire et de légende où Emile et Cornuaud, accompagnés d’un riche panel de personnages secondaires, vont s’efforcer de survivre voire d’exister, ballottés par les évènements ou guidés par le destin, au cœur de l’an 1792 synonyme de tumulte, de violence et de renouveau. Dans ce premier tome le rythme est rapidement donné et reste constant jusqu’à la fin de l’ouvrage qui nous fait traverser cette année révolutionnaire (à noter à ce propos qu’une vague connaissance de la période peut être un atout pour apprécier pleinement la lecture, l’auteur favorisant justement le rythme au détriment d’une myriade de définition qui aurait rendu le récit pour le moins indigeste). Le tout est accompagné d’une tension plus ou moins latente (un mal sous-jacent ronge le pays qui en surface semble chaque jour plus proche de l’implosion), mais indéniablement croissante, qui fait qu’une fois terminé ce premier pan de la trilogie de l’enjomineur, on ne peut qu’augurer du meilleur pour la suite.

7.5/10 Il ne s’agit pour l’instant que d’une entrée en matière, mais avec ce premier tome de la trilogie l’enjomineur, c’est déjà un voyage enrichissant qui vous est proposé au cœur d’une France révolutionnaire où violence et magie s’entremêlent pour vous captiver.

P.S. : je n’ai pas parlé de l’édition de l’Atalante, laquelle est d’une grande qualité, depuis l’illustration de couverture jusqu’aux illustrations intérieures en passant par la carte de Vendée, disponible en début de volume, et ma foi fort utile (celle-ci n’est pas présente dans la version poche).

 

Léo, 1 février 2010, librairie.critic.over-blog.fr

 

Publié le 2 mars 2010

à propos de la même œuvre