Subtil béton est un pur OVNI littéraire, et à plus d’un titre. Formellement, ce roman est issu d’une écriture très collective – d’où vient le nom « les Aggloméré.e.s » – mais aussi individuelle, les parties étant écrites à une main, le tout sur un temps long. En termes de fond, c’est un roman de lutte(s) sociale(s) très engagé – si CNews ou le Figaro sont vos médias de référence, vous allez grincer des dents, voire pire – raconté à hauteur d’individus. J’ai l’impression que la maison d’édition, l’Atalante, avait ce projet très à cœur car c’est la première fois que je lis un roman qui sort en poche moins d’un an après sa version grand format, ce qui me paraît témoigner d’une volonté de mise en avant.
Subtil béton questionne un futur malheureusement crédible – je n’ose dire probable – et les luttes intersectionnelles qu’il pourrait provoquer ; c’est aussi – surtout ? – un beau roman d’amour et d’adelphité.
Le collectif de Subtil Béton a été visiblement marqué par les évènements politiques des dernières années, en France et dans le monde. Dans un futur assez proche, l’extrême droite est arrivée au pouvoir puis a déroulé son programme isolationniste et de repli identitaire ; les langues étrangères sont interdites et les populations dont le nom ne sonne pas assez français – Franco dans le roman – doivent en changer, sous peine d’être envoyées dans des camps d’éducation. Les Aggloméré.e.s relèvent aussi les détournements possibles des progrès du numérique ; les habitants sont pucés et donc tracés dans leurs déplacements et leurs interactions, sur fond d’état d’urgence permanent. Ces thèmes ne sont pas neufs dans le genre de la SF en général, et la dystopie, en particulier mais l’alerte est toujours nécessaire ; car si on pouvait encore douter il y a quelques années, l’exemple chinois et sa dictature numérique – et nationaliste – est une démonstration glaçante d’un et si… possible. Certaines procédures appliquées aujourd’hui en France peuvent paraitre justifiées, et je suis de ceux qui le pensent – mais à condition d’être encadrées dans un système démocratique, avec ses contre-pouvoirs et le respect des libertés fondamentales. Dans Subtil Béton, l’atmosphère rappelle celle du Chili de Pinochet qui aurait à sa disposition les moyens techniques modernes et à venir.
La Réaction a pour caractéristique de vouloir maintenir un statu quo hérité d’un passé fantasmé, et donc de s’en prendre à celles et ceux qui en sont exclus et qui demandent donc l’abolition des privilèges. Aussi, dans Subtil béton, les personnages représentent essentiellement les victimes et parias du système : immigrés – ou perçus en tant que tel, tant l’ambiguïté est volontairement maintenue par une certaine classe politique -, minorités sexuelles et femmes qui, même si elles ne sont pas minoritaires, sont toujours discriminées ; le tout au service du capitalisme. Le combat est donc intersectionnel. Le roman évoque les méthodes de luttes et les débats qu’elles suscitent, et notamment les questions de la violence légitime, du rôle des symboles et mêmes l’objectif concret que l’on vise. Mais dans ce cas, l’histoire se construit après un grand mouvement social et insurrectionnel qui a échoué, car réprimé sévèrement. Comment reconstruire une lutte après ceci, entre peur, résignation des militants et adhésion – servitude – plus ou moins volontaire au régime ? En lisant, on sent les nombreuses heures, journées, voire davantage, que le collectif a passé au sein d’assemblées générales, réunions ou encore piquets de grève. Au fil des pages, un projet se forme, une nouvelle méthode de lutte, un nouvel objectif.
Le roman se concentre uniquement sur le point de vue des militants, leur manière de (sur)vivre et les débats qui les traversent, voire les opposent. Ici, point d’héroïnes ou héros, mais plutôt le quotidien de celles et ceux qui ont été exclus du système, ou même sont pourchassés par celui-ci. Tout le monde a ses propres compétences, ses objectifs, ses convictions et parfois des choses à perdre : résister quand on a une famille à charge ou un travail implique un enjeu supplémentaire. Pour les Aggloméré.e.s, c’est la solidarité, et même l’amour qui permet de tenir et de trouver la force nécessaire. Communautés et petits groupes semblent être la base de toute action, corps intermédiaires et Etats étant renvoyés dos à dos. [...]
Subtil béton est un roman déroutant mais qui touchera les lectrices et lecteurs qui s’inquiètent d’une certaine évolution du monde, entre égoïsme et tous contre tous. Surtout, il réussit l’exploit de ne pas jamais être pessimiste et montre que la défaite n’est jamais inéluctable.
Vous aimerez si vous aimez les récits de luttes sociales et politiques.
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