La fusion de l’intime et du politique. Un livre important, à partager pour en faire un support de lecture collective — quel plus bel hommage ?

Subtil béton - Bifrost

Subtil béton, c’est avant tout une aventure humaine, et la formule n’est pas ici galvaudée : fruit d’un travail d’écriture collective entamé en 2007, c’est près de soixante-dix personnes qui, de près ou de loin, dans l’écriture ou la logistique, furent impliquées dans ce projet. Quinze ans plus tard, la publication de ce livre en est un (premier ?) aboutissement.

L’élégante couverture reprend des motifs de la carte « type IGN », incluse dans la troisième de couverture, et qui promet à elle seule de longs moments d’observation, de déambulation, de découvertes, jusqu’à se perdre dans son urbanisme tentaculaire.

Dans une ville portuaire fictive de la façade Atlantique, au passé négrier, des mois de troubles durant l’année 2037 aboutissent à une insurrection. La riposte du pouvoir sera brutale et sanglante, puis sournoise et diffuse, sans jamais se départir totalement d’une violence frontale... Mais alors, une énième dystopie sur la société du contrôle ? Assurément, mais bien davantage aussi. Car un souffle novateur est porté par cette expérience totale.

Chroniques de l’après-écrasement — pour preuve, l’insurrection est traitée en une trentaine de pages —, de la mise en place de stratégies de survie, l’une des problématiques déployées par les Aggloméré·e·s est celle de l’amitié politique, évoquée dès les pre- miers chapitres. De discussions interminables en débats frustrants, c’est toute la fragilité de l’organisation collective qui est décrite. Ce qui la rend aussi belle et nécessaire.

Par sa vision d’un futur proche et totalitaire, comme dans son côté choral, Subtil béton ne manque pas de faire penser aux Furtifs d’Alain Damasio (cf. Bifrost 95), mais en plus fin politiquement, en plus ciselé dans la polyphonie (polyphrénie, dirait Damasio), bref, en plus... subtil !

Vous remarquerez peut-être un changement de « plume » lors du passage d’un personnage à une autre. Auquel cas, vous aurez été piégés par vos projections, car l’aspect « collectif » de l’écriture fut total. Chaque page fut retravaillée des dizaines de fois, par un nombre incalculable de personnes. Au fil des parties, les chapitres passent d’individualisés (un prénom) à collectifs (plusieurs prénoms), pour finir par une anonymisation (plus de prénoms). Le fond et la forme en osmose, la construction du livre comme mise en œuvre du projet politique porté. Au-delà de la carte déjà évoquée, un site internet permet de prolonger l’expérience, regorgeant d’anecdotes sur l’élaboration du livre et de ressources ayant servi à la nourrir. Le tout, tournant autour de l’écriture et de la lutte. Tel est in fine l’objet de Subtil béton : l’écriture pour la lutte, la lutte par l’écriture. La fusion de l’intime et du politique. Un livre important, à partager pour en faire un support de lecture collective — quel plus bel hommage ?

Mathieu Masson

Publié le 4 mai 2022

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