Ce livre est un roman exceptionnel, à tous égards. En digne héritier d'un sous-genre régulièrement mis à jour de la littérature de l'imaginaire, y est dépeint ce qui semble de prime abord une dystopie technologique totalitaire, tenace et étouffante comme nos pages ont l'heur de la prévenir régulièrement. Cependant, à contre-courant, nul commun que l'on suivrait dans une quête de liberté individualiste, une sortie de labyrinthe forcément avortée. L'objet ici, c'est la lutte de libération et la communauté qui la sous-tend. Et comme le (techno-)contrôle est réaliste, au sens qu'il est forcément imparfait, on observe la lutte à ses différents niveaux, de l'intérieur et hors de la société, à travers la vie des collectifs. Pour servir cette singularité, on retrouve un style qui semble hérité de Damasio et sa Horde : le récit est narré successivement à travers le regard de chaque membre. Les personnages hauts en couleur permettent alors une variété fertile de ton et de perceptions. Et celle-ci n'est pas artificielle, car on parle ici d'une œuvre collective; et c'est là que réside la plus grande richesse de ce bouquin. Ce roman est en effet né en 15 ans d'un groupe militant féministe non-mixte, qui a utilisé les mots et l'écrit d'abord pour se pencher sur la place d'elleux-même dans leur lieu de lutte propre. Et ça se sent, ça se vit dans ce texte habité, comme un bon plat qui dirait la chaleur d'une cuisine autogérée...
Valentin Carmin
