Une multiplicité des luttes jusque dans le choix des mots et des accords. C’est absolument formidable et d’une telle richesse !

Subtil béton - Les critiques de Yuyine
Article Original

Ce début d’année 2022 a été marqué par une sortie étonnante aux éditions L’Atalante. Subtil béton est un roman d’anticipation né du collectif Les Aggloméré·e·s et accompagné d’une massive carte IGN de 68cm de large et 86cm de hauteur et même d’un site internet dédié. Un projet qui a été initié en 2007 et pour lequel une cinquantaine de personnes ont contribué. Très curieuse du roman né de ce projet, j’ai eu immédiatement envie de me plonger dans Subtil béton et voici ce que j’en ai pensé…

Une bulle de lumière 

Subtil béton est un projet un peu fou et pourtant génial qui trouve sa naissance dans des ateliers d’écriture féministes et discussions d’un collectif depuis 2007. Alors qu’un roman était en train de naître, le présent a rattrapé l’anticipation sur bien des aspects, soulignant à la fois le réalisme de cette oeuvre d’anticipation dystopique, mais aussi la merde dans laquelle nous nous trouvons. Subtil béton est un ouvrage qui nous parle de l’échec d’une lutte que la répression, effrayante, a anéantie, du moins en surface. Elle nous parle de ce besoin d’agir, de ce qui nous empêche de le faire et, surtout, du pouvoir du collectif. C’est un roman de SF qui est d’une actualité glaçante. Les auteurices y abordent, entre autres, le racisme, les violences policières, la surveillance, les médias, la transphobie, les expulsions, la misère, les boulots éreintants et sous payés, les politiques sécuritaires et inégalitaires… Mais dans cet océan de crasse et de merde, ielles arrivent à y insérer une vague d’espoir, un éclat de lumière comme le reflet du soleil sur le dos d’un dauphin. Alors oui, les sujets sont durs, parce que la réalité de notre présent est si proche de ce qui ne devrait jamais dépasser le stade de la SF. Mais c’est aussi bourré d’amour et d’élans pour la collectivité. C’est aussi un roman très imparfait. Il est parfois déroutant, notamment lorsque l’imaginaire s’insère dans le réel et réécrit le monde. Il contient également des longueurs et des temps creux, faisant diminuer l’enthousiasme par vagues. Mais c’est surtout un roman fortement intéressant, que ce soit dans le procédé d’écriture (je vous invite à le découvrir sur leur site après la lecture!) ou dans son résultat. 

Un roman multiple et inclusif

Subtil béton est passionnant dans le sens où il est un formidable terrain de jeu qui permet d’aborder plusieurs chemins de réflexions sur la question de la lutte mais aussi des définitions d’utopie et de dystopie. On y remet en question même le principe d’ensemble, évoquant les disparités d’un groupe, les compromis complexes, les impasses aussi. C’est un ouvrage qui nous ouvre aux débats, qui interroge sans cesse, qui se remet en question, reflet, je suppose de sa propre création mais aussi des discussions du collectif à son origine. Ainsi, on découvre plusieurs personnages qui luttent à leur manière et sans qu’aucun jugement ne soit imposé sur leur façon de faire face. Subtil béton déploie sa multitude de personnalités, de celleux qui craignent d’agir face à la répression à celleux qui s’enflamment et partent dans des actions plus extrêmes en passant par celleux à la volonté utopiste qu’égratigne la réalité qui les entraîne alors vers une fuite dans la fiction. Les personnages sont tout-te-s imparfait-e-s, avec des failles comme des fulgurances, mais chaque être a son importance et son rôle à jouer dans le collectif formé. En conséquence, dans le roman, tout le monde a droit de parole, y compris les enfants souvent oubliés des luttes et des romans du genre. Cela crée un roman choral où plusieurs styles narratifs se succèdent, plusieurs formes d’écritures aussi. Ce qui peut être déroutant est aussi très significatif comme l’emploi de plusieurs écritures inclusives/démasculinisées. Le collectif joue avec la langue et explore ainsi les différentes manières d’inclure, de lutter contre le patriarcat. Une multiplicité des luttes jusque dans le choix des mots et des accords. C’est absolument formidable et d’une telle richesse! Cela devient tout bonnement grandiose quand, en dernière partie, toutes les voix se mêlent, tous les styles s’assemblent dans un ensemble étrange, diversifié, multiple et magnifique qui se fait l’écho d’un espoir un peu fou, ou, à tout le moins, d’un élan collectif qui nous pousse en avant. Un instant où chaque parole compte, y compris celle de l’ensemble qui résonne si fort.

Publié le 11 février 2022

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