FQ: Dites-nous tout d’abord, comment est née l’idée de ce livre ?
Renard d’eau : L’idée du livre a émergé après plusieurs années d’ateliers d’écriture. Au début, nous n’avions pas pour but d’écrire un roman. Ni même d’écrire tout court. En fait, nous voulions discuter de nos expériences au sein de nos collectifs de lutte et de vie, nous voulions explorer ces dynamiques de manière féministe, et nous avons lancé des rencontres thématiques sur ces sujets.
Poule des sables : C’était en 2007, et les cercles activistes auxquels nous participions, même s’ils se voulaient autogestionnaires, anti-autoritaires, n’étaient pas toujours faciles à vivre, souvent impressionnants, excluants. Et très masculins. C’est bien sûr propre à beaucoup de milieux militants, et c’était ce que nous vivions. Nous voulions réfléchir à tout ça entre meufs, gouines et trans, car nous retrouver dans cette mixité choisie était un moyen de contrer l’isolement que nous ressentions chacun·e… et de mettre la pression aux types autour. D’une certaine manière, nous espérions les faire flipper ou, en tout cas, les faire réfléchir. Et nous voulions surtout créer des espaces et des moments où nous nous sentirions plus fort·es, plus légitimes ensemble.
Renard d’eau : Les ateliers d’écritures se sont présentés comme un moyen de discuter, de nous mettre au travail. Nous n’en avions jamais fait ensemble et nous ne nous pensions pas du tout comme des personnes qui « écrivaient ». L’une d’entre nous en avait fait l’expérience quelques fois et nous l’a proposé comme un outil, une façon de nous raconter, mais sans envisager une seule minute de diffuser ces récits à l’extérieur du groupe. Nous nous sommes donné rendez-vous pour les ateliers d’écriture, quelques jours tous les quelques mois, et à chaque fois avec un thème qui nous tenait à cœur, nous travaillait : la construction de la confiance en soi dans les collectifs, les vécus d’exclusions, le sentiment de trahison, la recherche de sens…
Poule des sables : Pendant l’une de ces sessions, en 2009, une ville portuaire a été évoquée dans un nos textes, esquissant un univers sombre et captivant. Nous avons décidé de l’explorer en réécrivant dans ce même décor les cinq petits textes que nous avions alors en main. À la lecture, nous nous sommes dit que ça sonnait comme le début d’un roman : quatre personnages avaient surgi et nous avions l’impression qu’iels se connaissaient ou allaient bientôt se rencontrer…
Renard d’eau : Nous avons donc poursuivi les ateliers thématiques, tout en explorant cette ville et ces personnages, avec la sensation de plus en plus prégnante qu’une histoire était en train de se tisser. C’était amusant, intrigant, une nouvelle manière de réfléchir à plusieurs. Jusqu’au moment où nous avons délaissé le travail thématique pour nous consacrer pleinement à ce récit… mais sans encore d’objectif de publication : c’était en 2012 et à ce moment-là, nous avons repris tous les textes pour les associer et dégager des trames narratives. Mais ce que nous avions fabriqué ne fonctionnait pas vraiment, pas pour faire un roman. Il fallait continuer à triturer les mots, prolonger les intrigues, les ramifier, dégager un début et une fin. Et puis travailler davantage les personnages, le décor, le contexte. En 2015, nous avions un début et une fin. Nous avons alors invité de nouvelles contributeurices pour nous aider à encore retravailler, affiner, couper, gagner en cohérence… jusqu’à en faire quelque chose qui commençait à se tenir plus globalement.
Poule des sables : Il ne faut pas oublier que Subtil Béton était avant tout un espace régulier où nourrir nos liens, nos complicités, en partageant nos réalités respectives. Nous nous retrouvions quelques fois par an, pour nous donner des nouvelles et aborder ce qui nous traversait, nous questionnait, nous faisait peur aussi. Pas uniquement dans les fonctionnements collectifs, mais aussi dans le contexte politique du moment, la montée de l’autoritarisme, du racisme, de la répression des luttes sociales auxquelles nous prenions part. C’était nos enjeux d’engagement, de partage, de vie. L’univers du roman s’est déployé pour répondre à ces besoins.
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