Inutile de faire un dessin : Voix, sous ses airs de Fahrenheit 451 transposé dans un univers de fantasy passablement « réaliste », est un vibrant réquisitoire contre les intégrismes les plus obscurantistes. Mais, contexte oblige, on avouera qu’il paraît cibler tout particulièrement les tendances les plus radicales de l’islamisme, et en premier lieu celui des Talibans. La révolution libératrice ayant en outre plus ou moins un déclencheur extérieur, avec l’arrivée du poète Orrec Caspro flambeau de la liberté, il est difficile de ne pas faire le lien avec l’actualité. Et, disons-le tout net, avec tout autre auteur qu’Ursula K. Le Guin, cela aurait pu sentir passablement mauvais… Mais, heureusement, il s’agit bien d’un roman de l’auteur des cycles de « l’Ekumen » et de « Terremer » : autant dire que nul excès de manichéisme n’est à craindre dans ce livre d’une profonde humanité et d’une grande justesse, qui sait poser de graves problèmes sans prendre le lecteur pour un imbécile en lui apportant des solutions toutes faites. Le personnage de Némar, la narratrice, est à cet égard une grande réussite, justement parce que sa haine des Alds est palpable, et qu’elle en a conscience ; a contrario, d’autres personnages parmi ses proches, comme Orrec ou le Passemestre, qui font davantage figure de sages, sont bien plus modérés. Belle figure également que celle du Gand des Alds, Iorrath, en opposition totale avec son détestable fils et les prêtres de son entourage, seuls personnages véritablement négatifs du roman – car, oui, le roman a bien quelque chose d’anticlérical, si ce n’est d’antireligieux (Némar, le Passemestre, etc., sont eux aussi très religieux, mais polythéistes, pour ne pas dire animistes). Mais il s’agit en outre bel et bien d’un roman, et non d’un pamphlet militant, à la fois un peu convenu et politiquement un brin incorrect. L’identification avec les personnages est quasi instantanée, et, si le récit n’est finalement guère épique en dépit de son contexte révolutionnaire – mais on est rarement sur le devant de la scène –, on se prend néanmoins d’enthousiasme pour la cause des Ansuliens, leurs complexes débats politiques quant aux fins et aux moyens, et, par-dessus tout, pour ces personnages si humains, avec leurs faiblesses… Roman potentiellement « dangereux » par son sujet, Voix se révèle donc en définitive une réussite, et un digne successeur de Dons. Avec ces deux romans, la « Chronique des Rivages de l’Ouest » est d’ores et déjà une belle œuvre de plus à l’actif d’Ursula K. Le Guin. Reste à voir comment elle va conclure tout cela : Pouvoirs arrive au printemps 2011. Lire l'intégralité de l'article

Le Guin - Voix - Le Cafard cosmique

Inutile de faire un dessin : Voix, sous ses airs de Fahrenheit 451 transposé dans un univers de fantasy passablement « réaliste », est un vibrant réquisitoire contre les intégrismes les plus obscurantistes. Mais, contexte oblige, on avouera qu’il paraît cibler tout particulièrement les tendances les plus radicales de l’islamisme, et en premier lieu celui des Talibans. La révolution libératrice ayant en outre plus ou moins un déclencheur extérieur, avec l’arrivée du poète Orrec Caspro flambeau de la liberté, il est difficile de ne pas faire le lien avec l’actualité. Et, disons-le tout net, avec tout autre auteur qu’Ursula K. Le Guin, cela aurait pu sentir passablement mauvais…

Mais, heureusement, il s’agit bien d’un roman de l’auteur des cycles de « l’Ekumen » et de « Terremer » : autant dire que nul excès de manichéisme n’est à craindre dans ce livre d’une profonde humanité et d’une grande justesse, qui sait poser de graves problèmes sans prendre le lecteur pour un imbécile en lui apportant des solutions toutes faites. Le personnage de Némar, la narratrice, est à cet égard une grande réussite, justement parce que sa haine des Alds est palpable, et qu’elle en a conscience ; a contrario, d’autres personnages parmi ses proches, comme Orrec ou le Passemestre, qui font davantage figure de sages, sont bien plus modérés. Belle figure également que celle du Gand des Alds, Iorrath, en opposition totale avec son détestable fils et les prêtres de son entourage, seuls personnages véritablement négatifs du roman – car, oui, le roman a bien quelque chose d’anticlérical, si ce n’est d’antireligieux (Némar, le Passemestre, etc., sont eux aussi très religieux, mais polythéistes, pour ne pas dire animistes).

Mais il s’agit en outre bel et bien d’un roman, et non d’un pamphlet militant, à la fois un peu convenu et politiquement un brin incorrect. L’identification avec les personnages est quasi instantanée, et, si le récit n’est finalement guère épique en dépit de son contexte révolutionnaire – mais on est rarement sur le devant de la scène –, on se prend néanmoins d’enthousiasme pour la cause des Ansuliens, leurs complexes débats politiques quant aux fins et aux moyens, et, par-dessus tout, pour ces personnages si humains, avec leurs faiblesses…

Roman potentiellement « dangereux » par son sujet, Voix se révèle donc en définitive une réussite, et un digne successeur de Dons. Avec ces deux romans, la « Chronique des Rivages de l’Ouest » est d’ores et déjà une belle œuvre de plus à l’actif d’Ursula K. Le Guin. Reste à voir comment elle va conclure tout cela : Pouvoirs arrive au printemps 2011.

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Publié le 26 novembre 2010

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