Comme si le succès rencontré par la trilogie de Fionavar lui avait permis de paufiner des oeuvres plus ambitieuses, l'auteur canadien Guy Gavriel Kay s'est attaché depuis à écrire une fantasy qui sort des sentiers battus et qui prend ses repères dans notre substrat historique. Tigane avait pour cadre l'Italie de la Renaissance, La chanson d'Arbonne campait un monde proche de la Provence médiévale. Ce dernier roman nous immerge dans un flamboyant territoire calqué sur l'époque où Maures et Chrétiens se disputaient le royaume d'Espagne, au temps de la Ier croisade. Avec le talent d'un peintre génial, Kay construit un arrière fond d'où émerge l'empire d'Al-Rassan. Une terre conquise de haute lutte par les asharites, qui en ont fait la patrie d'élection des artistes et des savants. Mais depuis l'assassinat du dernier khalife, l'empire a éclaté en cités-Etats rivales. Un seul homme pourrait lui redonner son unité d'antan : le roi Almarik de Cartada, surnommé "Le Lion". Mais il doit faire vite, car au Nord, les royaumes de l'Ancienne Esperagne voués au culte de Jad, le Dieu-Soleil, tendent à se réunir sous la bannière de Ramiro, le roi de Vallejo. Conduits par Rodrigo Belmonte, un redoutable chef de guerre, ils seraient capables d'envahir et de soumettre les miettes de l'Empire morcelé. Ce dernier d'ailleurs, fait partie des trois personnages exceptionnels qui vont se rencontrer au sein de cette poudrière. Ammar ibn Khairan d'Aljais, érudit et guerrier, dont le roi Almarik, suit les conseils avisés, sera le second. Enfin, Jehanne bet Ishak, la fière kindath, dressera entre eux l'ombre de sa beauté et de ses extraordinaires talents de médecin. Trois destins qui vont étroitement s'entremêler dans un univers de violence et de passions exacerbées dont l'auteur sait rendre à merveille l'intense complexité. Inclinaisons humaines et raison d'Etat entrechoqueront leurs trajectoires dans les débordements de ce livre pétri d'émotion qui, par le biais d'un imaginaire recomposé, nous entraînera au coeur de la légende du Cid et des féroces batailles d'une Reconquête empruntée aux Rois Catholiques de l'Espagne de l'Inquisition. Du grand et du très bel ouvrage, dont on referme à regret la dernière page.
Les Chroniques d'Ailleurs