Les Lions d’Al-Rassan, roman « historique » de l’auteur canadien Guy Gavriel Kay, c’est avant tout l’histoire d’une terre, la péninsule d’Espéragne, que se partagent au nord les trois royaumes jaddites du Vallédo, de Jalogne et de Ruède et, au sud, l’Al-Rassan, terre des Asharites.
Les Lions d’Al-Rassan est roman de « fantasy historique ». Al-Rassan, c’est Al-Andalus. L’Espagne du XIe siècle, en gros. Remplacez les Asharites, qui vénèrent les étoiles, et les Jaddites, adorateurs du soleil, par « Musulmans » et « Chrétiens », respectivement, ajoutez le peuple Kindath et son culte lunaire en guise de Juifs et vous avez un tableau très similaire.
Sauf qu’Al-Rassan n’est pas sur Terre. La géographie est légèrement différente – et il y a plusieurs lunes, aussi. Mais c’est anecdotique, parce que Les Lions d’Al-Rassan est une transposition plutôt fidèles des histoires des uns et des autres, vus par les yeux de trois personnages singuliers et représentatifs de leur peuple: Ammar ibn Kairan, poète asharite, combattant émérite et réputé pour avoir tué le dernier khalife d’Al-Rassan; Rodrigo Belmonte, capitaine d’une compagnie vallédène; et Jehane bet Ishak, médecin kindath. On y trouve aussi quelques éléments de pure fantasy, mais ils sont très rares.
L’histoire se déroule sur plusieurs périodes, à une époque similaire à celle de la Reconquista, la reconquête de la péninsule par les rois chrétiens, contemporaine des Croisades, qui ont ici aussi un écho. La civilisation n’y a jamais été aussi florissante, nourrie par les influences conjointes des trois religions (« cultures » serait en fait un terme plus juste), mais jamais aussi menacée par la montée des intolérances des uns et des autres.
Cette aspect de la civilisation face à l’intolérance est un des thèmes-clés des Lions d’Al-Rassan. Il est cependant plus en toile de fond face aux questions de loyauté des personnages, surtout les deux combattants, tous deux en exil dans la cité de Ragosa et bientôt contraints de choisir un camp.
Fatalement – c’est le mot – les deux finiront par se rencontrer sur le champ de bataille et l’un mourra. Mais Guy Gavriel Kay jouera avec les nerfs du lecteur jusqu’à la moitié de l’épilogue avant de révéler le nom du « vainqueur ». Entre guillemets car, au final, c’est l’idée même de cette civilisation tri-culturelle qui meurt à la fin du roman.
J’ai récupéré Les Lions d’Al-Rassan au hasard d’un book-crossing aux Mercredis de la SF et j’ai longtemps hésité avant de le lire. L’idée d’un roman se situant dans un contexte historique-sauf-que-non avait un côté « mais pourquoi? ». Après lecture, je comprends l’idée: l’auteur souhaitait raconter une histoire non-historique, mais s’appuyant sur un contexte historique. Cette vraie-fausse Espagne est la toile de fond idéale.
Et, au final, je me suis régalé. Al-Andalus est une de mes époques historiques préférées, depuis mes études en histoire, et ce roman est un superbe hommage. Je tiens d’ailleurs à signaler l’excellence de la traduction d’Elizabeth Vonarburg: je lis rarement en français des ouvrages d’auteurs anglo-saxons (je préfère la version originale), mais je ne l’ai pas regretté ici.
Je n’ai pas pu m’empêcher d’ailleurs de voir, dans Les Lions d’Al-Rassan, pas mal de points communs avec Les Chants de Loss – points communs involontaires, puisqu’Axelle ne l’a pas lu, et j’entends bien changer cet état de fait. On y retrouve un contexte historique assez similaire (modulo les inventions da-Vinci-punk), une religion manipulatrice et va-t-en-guerre, des personnages qui ont des valeurs bien ancrées et des protagonistes féminins forts dans un monde d’hommes.
Les Lions d’Al-Rassan est un régal à lire. C’est une histoire prenante dans un contexte riche et envoûtant, le tout servi par une plume splendide. Si vous ne connaissez pas encore (c’est un livre qui a tout de même vingt-cinq ans), je vous le conseille ardemment.