Par tous les dieux : des étoiles, des lunes, et du soleil, quel roman !!!
Pour ma toute première découverte de la plume de Guy Gavriel Kay, j'ai atteint le firmament avec cette lecture, et il faut que j'amorce ma descente tout en douceur pour vous en parler, car je n'ai pas envie de quitter l'Al-Rassan trop brusquement. Avec ses 730 pages, il y avait de quoi savourer (et c'est bien ce que j'ai fait !). Pourtant les dernières se tournent avec tristesse, et un petit (gros ?) serrement de coeur... Alors je me dis qu'écrire cette chronique sera un peu comme une célébration pour ce roman que j'ai littéralement adoré.
La fantasy permet tout ! Elle peut faire bouillonner les chaudrons de magie, nous offrir des bestiaires extraordinaires, créer des contrées fantastiques, des langues imaginaires... Et même se déployer en de multiples déclinaisons : dark, light, urban, heroic, et j'en passe...
Elle est aguerrie (voire rassasiée) de quêtes initiatiques, de jeunes élus, de combats entre bien et mal... mais elle détient aussi le pouvoir de s'affranchir de tous ces stéréotypes, la preuve !
Oh que oui, il y a de quoi trouver son bonheur en fantasy. Et même si j'ai un gros penchant pour la plus dark, je me réjouis tout autant avec de la fantasy historique de grand cru comme celle-ci.
Guy Gavriel Kay est reconnu comme étant l'un des Maîtres de cette discipline. Que ce soit dans l'Italie de la Renaissance avec
Tigane, la France médiévale dans
La chanson d'Arbonne, l'histoire de l'Empire byzantin sur La mosaïque de Sarance, ou encore la Chine au temps de la dynastie Tang au coeur de sa saga
Sous le ciel, son talent est souvent célébré. Et après cette première découverte, je ne peux qu'approuver.
Le cadre servant d'inspiration à ce récit concerne une époque très mouvementée : La Reconquista ! Une période du Moyen Âge durant laquelle des événements majeurs se sont déroulés pour la reconquête, par les royaumes chrétiens, des territoires de la péninsule Ibérique occupés par les musulmans.
Pour moi, s'emparer avec autant d'habilité, de faits ou de contextes ayant réellement existé, pour les remanier afin de les mettre en conjonction avec un récit et des destins extraordinaires, relève de l'art. Un art dans lequel GG Kay excelle : esquisser un tableau du passé, y ajouter sa "patte", et lui donner vie grâce à de subtiles et exquises nuances dont lui seul à le secret. Il brise les chaînes qu'un récit historique conventionnel lui aurait imposé. Un carcan que la fantasy permet de faire voler en éclat pour laisser s'épanouir toute la beauté romanesque.
Ainsi, l'Espagne de la Reconquista, au moment clé de la fin de la période du califat de Cordoue (XIème siècle), devient l'Espéragne de l'auteur, dont il nous dévoile la carte subtilement réarrangée pour les besoins de son récit. Les contrées, les religions, ou encore les personnages illustres, sont passés entre les mains expertes de Kay. Il les façonne, les anime d'un charisme, et même d'une poésie, toutes absolument remarquables.
Je ne vais pas vous dresser la liste des correspondances (telle ville, ou tel personnage évoque unetelle/untel), je trouve bien plus intéressant de vous laisser jouer à ce petit jeu (très instructif) par vous-même. Disons simplement qu'en Al-Rassan, les Asharites sont les adorateurs des étoiles d’Ashar (musulmans). Que dans les trois royaumes d’Espéragne, les Jaddites sont les adorateurs de Jad, le dieu-soleil (chrétiens).Que dispersés et considérés comme le Peuple Errant, les Kindaths sont les adorateurs des deux lunes (juifs). Et que dans le désert du Majriti, les tribus muwardies représentent les nomades du désert.
Je vous vois d'ici hausser un sourcil dubitatif : Quoi, 2 lunes ? Eh bien oui, j'ai bien écrit deux ! Parce que voilà, ici nous sommes dans de la fantasy sans artifice, ou si peu. Les adeptes de pyrotechnie aveuglante, ou de créatures fabuleuses, risquent de chercher les empreintes de licorne bien longtemps car... ils n'en trouveront pas l'ombre d'un crin. Et pourtant l'éblouissement est bien au rendez-vous, je vous en fais le serment !
Je disais donc une deuxième lune dans le ciel (et bleue s'il vous plaît, il ne s'agirait de la confondre avec la blanche), un don de prescience accordé à l'un de ses personnages, et... c'est amplement suffisant pour que le charme fascinant du récit nous enveloppe entièrement.
Le grand art de Kay fait le reste, et s'exprime sans demi-mesure dans la conception de ses magnifiques personnages et dans sa manière de dérouler le récit.
D'abord les personnages : Une femme médecin kindath, un poète (et bien plus encore !) asharite, un capitaine jaddite (inspiré notamment de la vie de Rodrigo Diaz de Bivar dit le Cid), et leurs compagnons (famille, amis, et ennemis) sont d'une impressionnante et subtile perfection dans la justesse de leurs personnalité. Ils font de cette lecture un pur ravissement. Pour certains d'entre eux, à commencer par le trio précédemment cité, on ne peut que les aimer.
Destinés à nous faire éprouver un large panel d'émotions à travers leurs yeux, l'indifférence n'en fait pas partie. Dans un délice savamment renouvelé, chaque chapitre est ponctué de scènes capables de faire tantôt sourire, tantôt s'émouvoir, tantôt s'alarmer... rappelant une myriade de sentiments réfléchis en de multiples miroirs.
Ensuite, dans sa technique narrative, l'auteur aime jouer avec nous. Je repense notamment à ce carnaval où tout le monde est masqué. Le temps de quelques pages, il s'amuse à brouiller les pistes, jusqu'à la scène finale qui nous terrasse par son adresse et son intensité. Ce petit "exercice", qui doit être assez jubilatoire à mettre en oeuvre lorsque, comme GG Kay, l'on sait aussi élégamment s'y adonner, démontre un savoir-faire exceptionnel et une capacité à jongler avec quantité de pastels différents qui révèlent une peinture totalement époustouflante.
Et encore, j'imagine que la VO doit être d'une saveur bien plus exquise.
En résumé, ces flamboyants Lions d'Al-Rassan laissent dans le sillage de leurs crinières un authentique et inoubliable souvenir. Celui d'un vertige de sensations mêlées, dans lequel rivalisent religion, loyauté, conquête, politique, histoire, amour, beauté, poésie, raffinement... La liste serait trop longue. De la magnificence des palais, aux effluves d'épices, ce sont les sublimes personnages et la virtuosité de l'auteur qui se gravent dans nos imaginations, et provoquent un débordement d'émotions.
Lisez Les lions d'Al-Rassan ! Lisez-le, et oubliez l'étiquette "fantasy" si c'est ce qui vous fait encore hésiter. Vous en redemanderez, et rugirez de concert ????
Les escapades de Lupa
Publié le 6 février 2020