Superbe fable écologique matinée d'une stupéfiante symbolique spiritualiste, le récit se permet en outre de renouveler des thématiques anciennes du genre.

Plaguers - ScienceFiction

Sur une Terre qui lentement connaît son crépuscule, et d'où toute trace animale et végétale disparaît peu à peu, les réacteurs Alyscamps sont apparus comme la seule issue possible à un sort funeste. Sorte de canaux puisant dans d'autres dimensions de la réalité ce qui est nécessaire à la subsistance humaine, ces réacteurs ont eu un effet notoire sur la nouvelle humanité qui vient d'éclore sur Terre. La Plaie est devenue comme un don et une malédiction pour les adolescents. Voilà qu'ils deviennent capables d'engendrer des créatures, des prodiges, ainsi que de maîtriser les éléments telle une seconde nature. A cause de ce don, ils se voient exclus, rejetés, à cause de ce pouvoir presque divin voilà qu'ils deviennent les parias d'un monde ne supportant plus les splendeurs dont il avait été doté jadis. Fleurs, source, prodiges, créatures, tout est devenu suspect, et ces adolescents mutants les monstres d'une humanité qui se refuse au miracle de l'espèce pour préférer la mort lente. Illya et Quentin font partie de cette seconde humanité, et si l'une fait naître des orchidées plus belles que nature, l'autre, Quentin ouvre sous ses pas les sources qui animent et vivifient la vie. Reclus de " La réserve parisienne ", ces deux derniers ignorent jusqu'à quel point ils sont nécessaires à leur Terre. Devenus les médiateurs d'une force abrasive et toute puissante ils semblent constituer les derniers cobayes propres à juguler des forces qui veulent consumer les dernières étincelles de vie de la Terre. C'est à un double combat auquel on assistera, celui d'une Terre qui pleine à renaître et celui de deux âmes en peine qui cherchent à exister...

Fable écologique aux accents orwelliens, cette histoire mesurée par une prose cérébrale semble militer pour une humanité plus tolérante, même si c'est sans illusion et un très grand réalisme qui de faire confère à ce roman une maturité étonnantes. On pense " A la poursuite des Slans " quant on lit cette histoire déchirante, mais aussi au " Monde vert " d'Aldiss pour ces visions écologiques féériques, même si c'est à l'aune d'une humanité qui bien loin de régresser à un stade végétatif a développé une espèce de déviance, une échappée à sa propre évolution. Dès lors, ces adolescents à part, ces parias mis faces à une norme absolue revivront les affres et les douleurs de toute humanité en marge, tout en faisant de même, la violence étant parfois le meilleur moyen de marquer sa différence en même temps que son droit à exister. Cependant, le message ne se tient pas là, dans cette rupture et l'affrontement d'avec une norme qui les exclue mais bien dans la reconnaissance de cette humanité ambigüe qui ne les a pas acceptés mais pour laquelle ces enfants surhumains vont jouer un peu le rôle d'accompagnateurs. 

L'évolution prend ici un tournant singulier, sous les accords magiques d'une jeunesse frôlant le prodige, le miracle, tout cela dans le secret espoir de la maturation. Il ressort du livre de Jeanne-A Debats, un sentiment étrange, une sensation d'avoir communié avec quelque chose de très intime, quelque chose nous faisant dire une nouvelle fois non pas " nous ne sommes pas seul " mais bien " nous sommes bien plus que ce que nous paraissons être ". Altérité et évolution, pouvoirs et savoir, la quête ici n'est pas un échec, mais bien acceptation dans un monde qui toujours manque de quelque chose d'autre, d'un plus, d'un vrai dieu enfin visible et vivant, ou simplement de cette jeunesse pleine d'espérances aux pouvoirs insoupçonnés. Encore une fois, le parallèle avec la quête de maturité de l'enfant demeure centrale ici mais milite aussi une puissante mise en perspective de ce que pourrait être la réaction du genre humain face à ce qui dévie d'une évolution ayant tourné le dos à l'exception, au prodige, au phénomène. La fable ici se confond avec le réalisme sordide du monde tel qu'il est. Le choc n'est pas sans violence ni conséquences malheureuses. Mais ce que montre la fin de ce très beau roman c'est que l'humanité demeure la seule enfant de cette histoire, qu'elle soit prise au sens général qu'en terme d'individualités. Ainsi, le fait de voir ces enfants qui renversent le rapport et deviennent les parents de cette humanité en péril apporte un surcroît d'intérêt à une lecture qu'on redoutait de voir s'achever sur une impasse ou sur une image par trop naïve.

Superbe fable écologique matinée d'une stupéfiante symbolique spiritualiste, le récit se permet en outre de renouveler des thématiques anciennes du genre (pouvoirs paranormaux, etc...) qui par certains aspects évoque la très belle série des " Chroniques du peuple " de Zenna Henderson (Allo, les éditeurs?). Quant à la toile de fond chargée de nous exposer un siècle déliquescent en proie à cette entropie générale si bien célébrée par les récits post apocalyptiques de jadis elle nous dépeint un monde froid, au moyen d'une description précise et tout à fait originale qui pourtant ne sombre pas dans la complaisance ou le sensationnalisme. Ce trait plus réaliste nous installe alors dans une ambivalence romanesque dont les deux pôles, le pouvoir de changer le monde et la pesanteur d'une humanité qui rejette la " surnature ", témoigne de la totale maîtrise de l'auteur qui les a mis en friction. Un exercice difficile dont s'acquitte avec tous les honneurs cette jeune plume pleine de promesse.

Emmanuel COLLOT
Publié le 11 juillet 2011

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