L’auteur maitrise parfaitement la forme de la novella, en arrivant à décrire un contexte fort, à caractériser ses personnages, sans oublier énigme et action. Il fait preuve de surcroit d’un bel humanisme. Vous l’aurez compris, c’est un gros coup de cœur.

Le Mystère du Tramway hanté - Chut... Maman lit !
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En effet, il est un des auteurs « à la mode » sur la blogosphère : le recueil Les Tambours du Dieu noir a eu de bon retours, Le mystère du Tramway hanté à de très bon retours et sa nouveauté, Ring Shout, a d’excellents retours. L’auteur maitrise parfaitement la forme de la novella, en arrivant à décrire un contexte fort, à caractériser ses personnages, sans oublier énigme et action. Il fait preuve de surcroit d’un bel humanisme. Vous l’aurez compris, c’est un gros coup de cœur.

Le mystère du tramway hanté prend place dans le même univers que la nouvelle L’étrange affaire du djinn du Caire. La lecture de cette dernière n’est pas indispensable car il s’agit d’une autre intrigue mais l’affaire susnommée y est mentionnée. Les héros sont des agents du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, dans le Caire du début du XXe siècle, mais dans une version uchronique de la capitale égyptienne, et du monde, depuis l’arrivée de la magie il y a un demi-siècle. Celle-ci s’est déversée d’une autre dimension, et avec elle son cortège de créatures magiques, issues de divers folklores.

L’auteur en profite pour proposer une géopolitique alternative car cet outil de puissance a freiné et stoppé les appétits anglais et le Caire est devenue une des trois grandes métropoles mondiales, rivalisant avec Londres et Paris. La ville s’est modernisée et la magie remplace science et vapeur, comme en témoignent les tramways – qui nomment la novella – qui sont alimentés et pilotés par des entités asservies.

Une quarantaine d’années s’étaient écoulées depuis que le Soudanais errant – fou ou génie, c’était selon – avait ouvert un passage vers le Kaf à l’aide de machines et de procédés alchimiques. De cette brèche vers l’outre-royaume des djinns s’était déversée la magie qui avait à jamais bouleversé le monde. À présent, les Cairotes évoquaient à la moindre occasion le mystique disparu, dont le sobriquet servait plus souvent de moquerie que d’éloge pour se plaindre des fléaux de l’époque.

Justement, un de ces tramways semble hantés : les passagers sont mystérieusement agressés par une entité surnaturelle qui l’occupe. Pour ce récit, P. Djèlí Clark choisit donc un duo d’enquêteurs, dans une répartition des rôles assez classique de type « vétéran et bleu ». Et ils ne sont pas trop de deux face à l’adversité, chacun d’entre avec ses compétences propres et son jardin secret. Leurs interactions est un des ressorts comiques de l’histoire et le volubile Onsi, petit jeune fraichement arrivé au Caire et extrêmement cultivé, est particulièrement réussi.

L’auteur ne tombe néanmoins pas dans le cliché du couple totalement dysfonctionnel de super flics testostéronés : inventivité et ouverture d’esprit sont des qualités plus utiles. Les rôles secondaires ne sont pas en reste, bien au contraire, avec une superbe galerie de personnages féminins : une mystérieuse serveuse, une érudite soufie, des suffragettes… Subtilement, l’auteur interroge donc la question de l’égalité, mais aussi du genre et de l’esclavage, sans caricaturer. On ressent ses préoccupations d’historien spécialisé des traites atlantiques.

Fahima est une machine libérée, reprit la cheikha sans cacher son amusement devant la sidération de Hamed. C’était autrefois une automate tout à fait ordinaire, mais je l’ai aidée à prendre conscience de son potentiel. Elle a commencé à penser par elle-même.  Elle a ensuite décidé de devenir la personne que vous voyez aujourd’hui. Et elle n’est pas la seule. Il y en a d’autres comme elle, qui aident à leur tour leurs congénères à accéder à la conscience. Vous contemplez l’avenir.

Surtout, c’est un véritable plaisir de lire cette aventure. Nos deux enquêteurs arpentent un Caire haut en couleurs, à la recherche d’indices et d’experts pouvant les aider, sans exploser le budget alloué par le ministère et en évitant de se faire noyer par la paperasse. Certains passages peuvent paraitre un peu faciles, surtout quand ils reçoivent une aide apparemment désintéressée, mais tous les éléments distillés au fur et à mesure du roman prennent sens et le succès est lié finalement à leur compétence. Rien que la scène de résolution, franchement drôle et bien intégrée dans le contexte, justifie la lecture de la novella. Entre le sens du rythme, les thèmes, la rigueur de la construction et les punchlines, P. Djèlí Clark me fait l’impression d’être le John Scalzi de l’Urban fantasy uchronique. Et c’est un compliment.

Vous aimerez si vous aimez l’Égypte du début du XXe, les aventures enlevées et colorées.

Les +

  • L’agent Onsi Youssef
  • L’absence absolue de sexisme dans le récit
  • L’humour, la qualité d’écriture
  • La couverture, superbe et dans le ton

Les –

  • Addictif !!!
Publié le 18 mars 2022

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