La science-fiction est toujours, peu importe l’espace-temps où elle situe son action, une littérature du présent. Et si vous êtes sceptiques devant cette assertion, parlons du second roman de la française Elisa Beiram paru cette année chez L’Atalante à l’occasion de la rentrée littéraire. Ce nom ne vous est certainement pas inconnu puisqu’Elisa Beiram est déjà l’autrice de Rêveur Zéro sorti en 2020 et qu’elle travaille en tant que scénariste/dialoguiste dans le monde du jeu vidéo.
Avec Le premier jour de paix, elle explore ce qu’il reste de l’humanité en 2098…
Comment ferions-nous cesser les querelles, si c’est le seul héritage que nous leur léguons ?
Et autant le dire tout de suite, ce n’est pas des plus folichons.
Transfigurées par les catastrophes climatiques et les déplacements de populations, les nations d’hier se sont éteintes.
Ou plutôt, se sont fondues les unes dans les autres, poussées et repoussées par les multiples exodes consécutifs aux guerres et au climat.
Ainsi, les Jiti ressemble davantage à de grands conglomérats de la taille d’un continent qu’au états nations d’hier.
Mais avant de revenir sur ces mastodontes, Elisa Beiram saisit l’autre bout de la lorgnette pour la braquer sur Aureliano, un vieil homme d’une communauté colombienne qui se meurt à cause de ses conflits internes.
Bientôt, il découvre que des personnes s’échinent de par le monde à construire une paix nouvelle : ce sont les émissaires.
Biberonnés à l’irénologie — la science de la paix — ils parcourent le monde et tentent de résoudre les conflits, peu importe leur échelle.
Qu’il s’agisse d’un différent autour d’un cours d’eau ou d’une guerre entre communautés… jusqu’à la résolution de rivalités étatiques (ou ce qu’il en reste, comme on l’a dit plus haut). On suit trois émissaires dont Esfir et América Perez, entièrement dévouées à la cause. Une cause noble mais qui ronge et use tant la bêtise humaine semble sans fin.
Quand au troisième émissaire, disons qu’il sera pour le moins inattendu et plus… étranger.
La violence n’est pas une hérédité, mais un héritage, dont il est certes difficile de se défaire.
Le premier jour de paix tente donc une science-fiction entre prospective géopolitique et utopie. Elisa Beiram y dresse en creux un portrait de notre époque qui court irrémédiablement à sa perte et contemple, presque fataliste, ce qu’il reste de notre société à la fin du siècle.
Si le lecteur arpente cette planète ravagée qui cherche une nouvelle voix pour demain, c’est aussi, et surtout, parce que les prévisions les plus sombres se sont déjà réalisées pour l’homme.
Surtout, Elisa Beiram tente de montrer que le conflit n’est jamais si simple qu’on le dit. Que le ressentiment, les différences générationnelles, les ressources et tous ces grains de sable dans la machinerie de l’entente cordiale jouent un rôle sur le genèse (puis la pérennité) du conflit.
Ainsi, le roman devient foncièrement malin et intéressant, tantôt naïf tantôt lucide, espérant envers et contre tout (et tous), explicitant les principes d’une paix positive pour construire ensemble dans une même direction. On y retrouve un ton optimiste et une certaine bienveillance envers le genre humain qui renvoie à Becky Chambers ainsi qu’une volonté de mettre en avant le témoignage des hommes et femmes de l’époque un peu à la manière d’un World War Z.
À mi-parcours, l’autrice s’enfonce encore davantage dans le registre science-fictif et élargit encore et toujours la question de la paix.
Ce qui s’avère aussi déstabilisateur pour le récit que surprenant. S’il fallait déjà accepté la nouvelle donne géopolitique qui paraît bien « utopique », il faut en plus faire un second saut de foi pour croire aux nouveaux personnages qui interviennent dans un récit jusque là le plus terre à terre possible.
[...]
Reste tout de même une fin de récit particulièrement intéressante sur ce que la paix et tous les efforts pour l’atteindre peut drainer d'énergie à ses émissaires.
Comme si le messager devait souffrir et se sacrifier pour le bien commun.
Cela suffira-t-il pour qu’une paix durable soit possible ?
Voilà bien toute la question…
Nicolas Winter