Décidément, je ne me lasse pas des novellas mettant en scène l’adelphe Chih. J’aime cette sensibilité que Nghi Vo sait placer dans les rapports entre les personnages.

Entre les méandres - Le nocher des livres
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Que c’est agréable de retrouver des personnages que l’on apprécie. Surtout quand les parutions sont peu espacées. La série des Archives des Collines-chantantes de Nghi Vo paraît depuis le début de l’année aux éditions de L’Atalante. Et on en est à la troisième novella. Après l’ombre de l’impératrice de L’impératrice du Sel et de la Fortune et le trio de tigresses de Quand la tigresse descendit de la montagne, l’adelphe Chih se rend dans la région des méandres, célèbre pour ses bandits et ses conflits. Quelles rencontres va-t-iel y faire ?

Le voyage comme mode de vie

Comme à chaque fois, l’adelphe Chih voyage à travers les contrées afin d’entendre et donc d’écrire les histoires qu’iel pourra glaner. Iel est, cette fois, à nouveau accompagné de sa neixin, Presque-Brillante, qui lui avait fait faux bond dans le précédent épisode. Et c’était bien dommage tant cet animal volant apporte en légèreté aux dialogues, tant Presque-Brillante n’hésite pas à utiliser son bec ou ses griffes pour se venger d’une répartie jugée trop moqueuse de Chih. Et cela permet de plus d’enrichir certaines situations. Rappelons qu’elle est dotée d’une mémoire fabuleuse, ce qui en fait l’alliée idéale pour une personne chargée d’enregistrer des conversations dans un monde sans électronique.

L’intérêt de ces voyages est de découvrir d’autres lieux, d’autres personnes. Et dans cette époque où les trajets se déroulent à pied ou en moyens moins modernes (mais moins polluants) qu’aujourd’hui sur notre Terre, ils permettent de faire des rencontres. Parfois anecdotiques. Souvent passionnantes. Comme ici. Le récit s’ouvre sur une discussion chez un barbier, comme je l’ai noté en découvrant les premières lignes de cet ouvrage. Et juste après, Chih se rend dans une taverne. Et, comme souvent dans ces lieux, une bagarre éclate, mettant en valeur les qualités de combattants de plusieurs protagonistes. On découvre ainsi les futurs compagnons de voyage de Chih : Wei Jintai et Sang, deux jeunes femmes qui voyagent de conserve, et Lao Bingyi et Khanh, un couple de nobles au passé mystérieux et qui semblent avoir vécu de nombreuses années. Peut-être un peu trop pour de simples mortels.

Voyage dans le passé

Le trajet qu’ils vont entreprendre tous les six va, une fois encore, être l’occasion d’entendre des contes venus d’un passé lointain et sujet à caution. Car, un des points qui reviennent dans cette série et que j’apprécie particulièrement, c’est l’insistance sur le fait que les histoires varient selon qui raconte et à quel moment. Le même récit peut changer du tout au tout d’un interlocuteur à l’autre. Dans Entre les méandres, l’autrice s’attaque à la classique figure de la belle héroïne. Pourquoi cette beauté obligatoire ? Et si on s’intéressait à une femme laide. En quoi cela serait-il moins intéressant ? Nous découvrons ainsi le récit de la vie de Yi la Laie, à la force supérieure à celle des sangliers (d’où la figure centrale de la belle illustration de couverture d’Alyssa Winans).

Mais le bandit principal de cette novella, c’est la gang de la main blanche. Un regroupement de truands qui, malgré sa disparition, revient régulièrement : les mythes ont la vie dure et n’importe qui peut utiliser ce nom pour commettre les pires larcins. Là aussi, Nghi Vo met le doigt sur un classique des récits d’aventure : ces légendes qui acquièrent une telle force, une telle aura qu’elle résiste à la mort de leur créateur. Ce qui permet à d’autres d’endosser le rôle et de reprendre les activités de l’original. Que ce soit des activités positives comme des activités criminelles. Ainsi en est de la main blanche qui vole, tue sans relâche dans la région.

Décidément, je ne me lasse pas des novellas mettant en scène l’adelphe Chih. J’aime cette sensibilité que Nghi Vo sait placer dans les rapports entre les personnages. Tout comme le parfum de magie qui baigne ses récits sans pour autant devenir envahissant. Et ces histoires de voyage donnent envie d’enfiler ses meilleures chaussures et de partir sur les routes. Mais je vais plus sagement attendre la traduction de Mammoths at the Gates qui vient de paraître en V.O.

Publié le 9 octobre 2023

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