Le pari de John Scalzi était risqué ; il est réussi. En marchant de manière revendiquée dans les traces de ses prédécesseurs, en empruntant à la fois aux classiques du space-opera et aux clichés des pulps, en y adjoignant des avancées scientifiques qui n’étaient pas envisageables à l’époque de ces courants littéraires, il compose un roman plaisant, ludique, sensible, plein d’humour et d’intelligence, aux ingrédients justement dosés, qui est avant tout un très bel hommage à l’âge d’or du genre.

Scalzi - Le vieil homme et la guerre - Yozone
Article Original
Dans le futur décrit par John Scalzi, l’humanité est partie à la conquête des étoiles. Mais l’espace, tout autant que les astres, apparaît particulièrement encombré, disputé par d’autres espèces intelligentes. L’expansion ou la disparition : tel est le challenge, ou, du moins, telle est la doctrine professée par les humains. Sur terre, on est bien loin de tout cela. Si ce n’est que malgré les progrès de la médecine, on finit toujours par vieillir et par passer l’arme à gauche. Une seule échappatoire, pour ceux qui ont envie de tenter l’aventure : s’engager dans les troupes spatiales coloniales. C’est, dit-on, la certitude de gagner un corps neuf, un rajeunissement procuré par les avancées scientifiques à peine croyables de cet empire en marche. Oui, certes, mais pour cela, il faut s’engager pour deux ans. Et le contrat précise que la durée d’engagement peut être en cas de besoin portée jusqu’à dix années – dans cette guerre perpétuelle, on le comprend, ce sera dix ans pour tout le monde. Ou plutôt, hélas, infiniment moins : la durée moyenne de survie des soldats est beaucoup, plus courte que cela.
 
 
Malgré le flou soigneusement entretenu sur les techniques de rajeunissement, malgré la quasi-certitude d’une fin tragique, ils sont nombreux à tenter l’aventure : quitte à mourir, autant que ce soit rajeuni et en bonne santé plutôt que vieux et malade. C’est le choix qu’avaient fait après la soixantaine John Perry et son épouse, pourtant pas militaristes pour deux sous. Le décès prématuré de sa femme conforte Perry dans son choix : il n’y a plus grand chose pour le retenir. Comme tant d’autres, il se décide à quitter la terre – même s’il survit à ses années de combat, tout retour lui est interdit – et s’envole à son tour pour les étoiles.
Des personnages pleins d’humour et dotés d’un solide sens de la répartie, des dialogues bondissants façon polar signent des premiers chapitres à la fois très drôles et profondément humains. Après une fin de première partie plus superficielle consacrée à l’entraînement des nouvelles recrues scientifiquement rajeunies, et même améliorées bien au-delà de leurs espérances, plusieurs chapitres sont consacrés aux combats, façon « Starship troopers » de Robert Heinlein, contre des espèces alien plus affreuses les unes que les autres, zoomorphes, anthropomorphes, voire lovecraftiennes, rarement dénuées d’intelligence, se livrant à des rites parfois incompréhensibles et, pour faire bonne mesure souvent grandes gastronomes – tout particulièrement en ce qui concerne la chair humaine.
Des combats et encore des combats, mais ici et là un zeste de réflexion. Car, si nos personnages savent bien qu’ils ont fait un choix fondamental – être aux ordres et tuer, tuer encore, simplement pour rester jeunes et pour survivre – l’expérience du feu ne manque pas de raviver des scrupules qu’ils ont cru pouvoir étouffer. Un ancien diplomate engagé qui essaie de revenir à son métier et y laisse la peau, les autres ont des états d’âme et des interrogations : on est donc là comme chez Heinlein, sous des aspects va-t-en-guerre, bien souvent dans la caricature, et le pamphlet antimilitariste ne manque pas de pointer son nez sous l’entrain affiché. Le plus souvent, Scalzi offre les deux niveaux de lecture simultanés – et ceci d’autant plus que l’auteur ne se limite pas aux affreux alien, et que les membres des Forces de Défense Coloniale sont également employées, sur les colonies, pour massacrer les grévistes.
Et puis, il y a le poids du passé. Il y a tout ce que l’on a abandonné et que l’on ne reverra jamais. Il y a, pour John Perry, son épouse qu’il ne parviendra jamais à oublier. Il y a ses nouveaux amis qu’il perd. Il monte en grade. Lors d’une bataille, il se retrouve effroyablement démoli, il survit grâce aux prodiges de son corps rajeuni et amélioré. Normal. Io ce n’est que c’est son épouse qui est venue le sauver, il l n’en démordra pas. Folie ? Elle est morte… mais elle avait déjà, au moment de son décès, signé son engagement. Se pourrait-il qu’en cette personne des forces spéciales qui en même temps est elle et ne l’est pas, qui est curieuse et attirée par lui en jurant qu’elle n’est pas ce qu’il croit qu’elle est, réside véritablement une part de cette épouse disparue ? Dès lors, ce roman de feu et de sang, qui pour autant ne s’éloigne pas d’une action effrénée, prend des allures étranges, romantiques presque, et se transforme en une très belle histoire.
 
Le pari de John Scalzi était risqué ; il est réussi. En marchant de manière revendiquée dans les traces de ses prédécesseurs, en empruntant à la fois aux classiques du space-opera et aux clichés des pulps, en y adjoignant des avancées scientifiques qui n’étaient pas envisageables à l’époque de ces courants littéraires, il compose un roman plaisant, ludique, sensible, plein d’humour et d’intelligence, aux ingrédients justement dosés, qui est avant tout un très bel hommage à l’âge d’or du genre.
 
Hilaire Alrune -Yozone 
 
Publié le 29 décembre 2016

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