La science-fiction est souvent utilisée comme un moyen détourné pour nous faire réfléchir au devenir de notre société. En imaginant des futurs possibles, en forçant le trait, en appuyant là où ça fait mal, les auteurs de SF nous invitent à prendre conscience des dangers qui nous guettent, à considérer nos responsabilités et qui sait, à réfréner nos mauvais penchants. C’est probablement ce que Pierre Bordage a voulu faire avec Wang en nous proposant un futur dystopique où l’Occident aurait rompu avec le reste du monde en érigeant un mur infranchissable.

Retranché derrière une gigantesque barrière électromagnétique, les occidentaux, européens et nord-américains, coulent donc des jours heureux dans des cités futuristes et entièrement automatisées. Les aléas du climat ont été domptés, l’espérance de vie considérablement allongée et leur seul véritable souci est d’éviter de sombrer dans l’ennui. Ils utilisent pour cela les sensors, appareils ultra sophistiqués qui leur permettent de ressentir les émotions d’autrui, notamment celles des participants aux jeux uchroniques, des affrontements grandeur nature au cours desquels se rejouent les grands conflits de l’histoire de l’humanité. Bien sûr, les participants ne se bousculent pas pour participer à un jeu où ils risquent leur peau. Raison pour laquelle tous les deux ans, le Mur s’ouvre pour laisser passer un certain nombre d’immigrants qui se pressent pour échapper aux néo-triades de la République Populaire Sino-Russe ou aux mollah de la Grande Nation de l’Islam, ignorants qu’un sort peu enviable les attends au-delà du rideau. Parmi eux Wang, un jeune chinois déterminé à faire tomber le mur et cesser l’exploitation de ses semblables.

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La qualité de l’intrigue et la richesse des personnages sont indéniables. L’histoire est portée par un souffle épique remarquable, particulièrement sensible dans sa toute première partie qui narre l’épopée de Wang et Lhassa vers la porte de Most. Il y a dans ces pages une multitude de détails qui permettent de susciter des sensations, des odeurs, des impressions. On a froid et faim en même temps qu’eux. On espère et on craint. On s’aime et on s’emporte. Nous sommes plongés dans un quotidien misérable et terriblement dangereux, dans une lutte pour la survie absolument terrifiante… Les jeux uchroniques qui constituent les morceaux de bravoure du récit ne manquent pas non plus d’attrait. Guerre des Gaules ou des Boers, glaive et armure, fusil et cavalerie, les amateurs de stratégie et d’épopées guerrières seront servis. Une certaine routine finit bien par s’installer mais globalement ces passages guerriers s’intègrent parfaitement au récit, ponctuent l’intrigue et la relancent même parfois.

Quant au jeune Wang, le héros de cette histoire, il figure un personnage auquel il est bien agréable de s’attacher. Volontaire, débrouillard et fidèle à ses idéaux il poursuivra jusqu’au bout la mission dont il se sent investi non sans passer par des phases de découragements, d’excitation ou de doute. Sa compagne, la douce Lhassa, ne joue en revanche qu’un rôle très secondaire, largement supplanté par d’autres individualités beaucoup plus riches : le stratège aveuglé par ses rêves de gloire, la jeune idéaliste en quête d’absolu, la psychologue tiraillée entre ambition et sentiment…

Tout cela fait donc de Wang un fort bon roman que l’on rapprochera facilement du célèbre Hunger Games pour l’idée de personnages jouant leur vie dans des combats mortels diffusés à la télé, mais avec un côté « politique » plus assumé.

Publié le 5 mars 2020

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