Aujourd’hui, quittons le monde humain pour nous envoler avec les corbeaux, à la rencontre de Dar Duschesne dans le monde de Kra que nous offre l’auteur John Crowley.
Dar Duchesne est une corneille dont la vie était paisible, au rythme des saisons et des mouvements de sa colonie dans le monde de Kra. Mais un jour, il assiste à un événement qui marquera de nombreux changements : l’arrivée des « deux pattes », les humains du royaume d’Ymr. Une humaine en particulier, portant sur la tête un pelage de renard (qui lui donnera son nom Toque-de-renard), se lie d’amitié avec Dar Duchesne, et va jusqu’à lui apprendre son langage. C’est elle qui lui donnera son nom, qui vient de « celui qui vivait dans le chêne de la forêt ». Ceci est inédit chez les corneilles, mais perdurera ensuite chez les générations suivantes.
Chaque chapitre conte une époque de la vie de Dar Duchesne, qu’il relate à un vieil homme avec qui il s’est lié d’amitié.
Dans le premier chapitre, Toque-de-renard se fait accompagner de la corneille pour partir à la recherche de ce que les humains ont toujours recherché, « la chose la plus précieuse », qui leur permet d’éviter la mort. Dar Duchesne volera cet objet à une corneille, puis fera ce que font toutes les corneilles : il cachera son trésor, qu’il ne retrouvera malheureusement pas. S’en suivra une succession de multiples vies et de morts de Dar Duchesne, coincé dans une existence sans fin, où il assistera à l’évolution du monde et à celle des humains. Dans chacune de ses vies, il développera, comme avec toque-de-renard, un lien particulier avec un humain : un indien à l’oreille coupée ou encore un frère d’une abbaye.
La thématique de la mort est omniprésente dans ce livre, où les corneilles construisent progressivement leur rôle d’oiseaux de mort, qui emmènent les âmes vers le royaume des défunts. En parallèle, Dar Duchesne tente de comprendre les traditions des humains et leur relation à la mort, au cours des âges. Peu à peu, il sera amené à réfléchir sur le cadeau, ou le fardeau que constitue l’immortalité.
« Ce n’est pas une bonne chose de mourir. Mais de vivre éternellement non plus. Tu le sauras avec l’âge. »
Au cours des différents chapitres, on observe ainsi comment la relation des humains avec leurs morts change, et comment le statut des corneilles évolue. Si le peuple de Toque-de-renard offrait ses morts aux corneilles qu’ils honoraient, ces dernières finissent au fil des âges par être chassés au fusil.
Une histoire de corneille…
Pour moi, un des points forts de ce récit est vraiment son aspect original qui vise à faire d’une corneille le personnage principal. Le gros risque de ce type d’initiative est de sombrer dans un anthopomorphisme trop poussé, ce qui n’est pas le cas ici. Maintes fois au cours du récit, il est rappelé au lecteur que Dar Duchesne n’utilise pas le même langage que celui des humains, et que les mots utilisés dans le récit sont plutôt ceux du vieil homme qui nous conte l’histoire de Dar Duchesne. Les corneilles sont bien décrites dans leur mode de fonctionnement et leurs activités, ce qui reflète, je pense, une bonne connaissance de l’auteur de ce monde animalier, ou en tout cas le fruit de recherches sur le sujet. Le lecteur vit l’histoire par les yeux d’une corneille, qui ne comprend pas certains comportements humains mais reste très curieux face à nos traditions.
Du fait de son statut particulier, Dar Duchesne développe un comportement tout de même différent de celui des autres corneilles. Il est amené à s’éloigner de sa colonie, à suivre un frère dans son pèlerinage et à visiter le lieu où ne vit aucune corneille. Au cours de ces voyages, il rencontre d’autres espèces animales avec qui il interagit et dont la construction littéraire est aussi très intéressante. Par exemple, il suit des sternes qui contrairement aux corneilles migrent selon les saisons.
L’histoire en elle-même évolue assez lentement, on est sur un texte très contemplatif. Cependant, la plume de l’auteur rend le tout très fluide et poétique. Malgré le rythme lent, le lecteur ne s’ennuie pas, et profite de l’ambiance fantastique.
Le petit plus…
Je dois l’avouer, je suis très sensible au design des livres, à leurs couvertures, à la qualité du papier… dans cette optique, je ne peux pas passer à côté du fait que l’édition l’Atalante est très belle, et a intégré dans ce livre quelques très belles illustrations en noir et blanc en fin de chaque chapitre, qui sont signées Melody Newcomb.
Les lectures du Panda