Pour une fois qu’un livre peut se résumer en très peu de mots, ne boudons pas notre plaisir : Kra raconte l’histoire de notre monde vu à travers les yeux d’une corneille.
Là où les choses se compliquent c’est qu’une fois qu’on a dit cela, ben on n’a pas dit grand-chose ! Ce qui montre au passage toute la richesse d’un récit à partir d’une idée d’une simplicité limpide.
Il serait fastidieux de détailler les différentes péripéties par lesquelles notre corneille passe au fil de ces 500 pages, denses, profondes, poétiques mais parfois absconses. Le roman fourmille de tellement de références que le lecteur que je suis, illettré, pas comme vous, se perd parfois dans celles-ci. Fort heureusement, ce même lecteur que je reste parvient aussi parfois à ressortir la tête de l’eau et à reprendre le fil du récit.
Au-delà de ces quelques petits désagréments, Kra est un roman qui vous hante, au propre comme au figuré. Il est émaillé de réflexions dont les thématiques renvoient presque systématiquement à la mort et à l’immortalité, celle-ci étant dépeinte sous les traits d’un fardeau aussi lourd à porter pour les humains que pour notre héros de corneille (c’est un mâle) qui traverse les âges, les religions, les croyances, le temps.
John Crowley se joue du lecteur en se jouant des espaces, des temps, en mélangeant les symboles, les religions, les croyances, es peuples, les époques et les chronologies. De ce foisonnement naît un chemin particulier, propre aux corneilles, qui semble si étranger aux humains qu’il faut faire l’effort d’y marcher, chacun à son rythme. Il mélange ainsi une quantité assez incroyable de mythes parmi lesquels on retrouve Orphée, l’Odyssée, les légendes indiennes, j’en passe et des meilleurs…
La corneille est un messager de mort, un passeur entre deux mondes : un monde d’ici et un monde d’ailleurs. La frontière en est si ténue que ces mondes se mélangent parfois, la mort venant faire sa récolte dans celui des vivants. Les corneilles, en se nourrissant des corps meurtris, en s’engraissant sur les cadavres, endossent littéralement leur rôle d’entremetteurs entre la vie et la mort. Ce sont elles finalement la seule frontière entre les mondes, raison pour laquelle elles peuvent circuler entre eux, y aller mais surtout en revenir.
Comme pour mieux montrer la perméabilité des mondes et des espèces, les corneilles s’humanisent petit à petit. Elles intègrent une violence typiquement humaine à leurs comportements. Toutefois, cette violence n’est, contrairement aux hommes, jamais tourné vers l’autre (quand bien même l’autre en est victime). Au contraire, cette violence est une barrière protectrice que la corneille dresse entre elle et son groupe et le danger qui les menace. La corneille est incapable de méchanceté, de brutalité ou de vengeance… tant que son « humanisation » n’est pas achevée, en tout cas.