Roman surprenant et émouvant, Frankenstein 1918 dépasse largement sa dimension de devoir de mémoire et, sur un format plutôt court, brasse avec brio de nombreuses thématiques. Une totale réussite.

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Paru en 2018, Frankenstein 1918, s’inscrit dans la veine commémorative des cent ans de la fin de la Première Guerre mondiale. Mais ici, Johan Heliot nous emmène du côté des Gueules cassées, de la chair à canon sacrifiée dans une guerre nouvelle où armes technologiques et chimiques sont testées et utilisées sans scrupules afin de mener une « guerre totale »…

Victor, dont le corps n’est qu’un assemblage couturé de parties provenant de plusieurs cadavres, parvient presque à passer totalement inaperçu parmi les estropiés. L’auteur rend aussi hommage à l’un des romans préfigurateurs de la SF – mais aussi, si on le replace dans son contexte de parution, source d’inspiration pour le roman gothique dans une veine plus rationnelle voire réaliste, le roman horrifique ou fantastique, le Frankenstein de Mary Shelley. Il adopte aussi une forme narrative proche : extraits du journal intime d’Edmond Laroche-Voisin, des mémoires de Winston Churchill ou du manuscrit rédigé par Victor le non-né, le tout rassemblés par la petite fille d’Edmond Laroche-Voisin. Le style de l’auteur s’adapte au point de vue et à la caractérisation du personnage narrateur. Johan Heliot revisite l’histoire, la vraie, et la déforme avec des procédés relevant de l’uchronie et de l’histoire secrète.

Le roman est truffé de clins d’œil et de références culturelles, littéraires ou politiques (le sort réservé à un petit caporal est assez sympa). L’auteur joue avec des figures historiques connues (Ernest Hemingway, Marie Curie, Irène et Frédéric Joliot-Curie, Winston Churchill) sans verser dans la caricature. L’épopée de Victor, revenu  la vie sans mémoire, sans langage, donne une dimension supplémentaire à une histoire déjà tragique par son contexte. Au delà de l’aspect historique, Johan Heliot dresse aussi le portrait d’un évolution des sciences et des technologies en posant la question du « progrès » scientifique. Même si, les nécessités de la guerre poussent l’humanité à innover dans l’art de la destruction et de la mort, la science porte aussi en elle promesses de bienfaits en témoigne le rôle de la famille Curie. Roman surprenant et émouvant, Frankenstein 1918 dépasse largement sa dimension de devoir de mémoire et, sur un format plutôt court, brasse avec brio de nombreuses thématiques. Une totale réussite.

Publié le 31 juillet 2019

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