Le Bibliocosme

Johan Héliot revisite notre XXe siècle

Ce n’est pas un scoop, Johan Héliot aime s’amuser avec l’Histoire. Dans « La trilogie de la Lune », il revisitait le Paris du XXe en y incluant une race extraterrestre ayant pris contact avec la Terre à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1889. Dans « Le Grand Siècle », il imagine un Louis XIV vivant en symbiose avec une drôle d’entité venue d’ailleurs et transpose la conquête de l’espace au XVIIe siècle. Avec « Frankenstein 1918 », ce sont les deux Guerres mondiales qui se retrouvent complètement transformées. Et il faut admettre que côté uchronie, Johan Héliot ne fait pas semblant ! Premier changement (et non des moindres !), la Première Guerre mondiale ne prend pas fin en 1918 mais perdure jusqu’au début des années 1930 : une période que l’histoire a retenu sous le nom de Guerre Terminale. Autre bouleversement majeur : c’est l’Allemagne qui sort vainqueur du conflit, après avoir pratiquement rayé Londres de la carte et avoir placé la plupart des pays d’Europe sous sa coupe. Voilà pour ce qui est du cadre général de cette uchronie dont l’auteur nous propre de découvrir non seulement l’histoire officielle, mais aussi et surtout l’histoire secrète. Bien des années après les faits, un historien va en effet mettre la main sur une succession de documents attestant de l’existence d’un commando spécial créé au début de la guerre par Churchill lui-même. Jusqu’ici rien de bien exceptionnel, sauf que les membres de ce commando sont le fruit d’expériences scientifiques morbides mais particulièrement novatrices : il s’agit en fait des corps de jeunes soldats récupérés après les combats et ramenés à la vie par un scientifique de génie : le docteur Victor Frankenstein. Le but de ces « non-nés » ? Servir de chair à canon en lieu et place de braves jeunes Anglais, et ainsi limiter le carnage des tranchées.


Frankenstein et l’horreur des tranchées

Le mélange est plutôt curieux mais s’inscrit parfaitement dans l’actualité puisqu’on célèbre cette année non seulement le centenaire de l’armistice de la Première Guerre mondiale, mais aussi les deux cent ans de la publication du fameux « Prométhée moderne » de Mary Shelley. L’idée n’est d’ailleurs pas si saugrenue que cela et permet de revenir non seulement sur le traumatisme qu’a laissé dans l’esprit des contemporains la vision de toute une génération sacrifiée, mais aussi et surtout la prise de conscience progressive de l’absurdité de cette guerre de position, capable de causer la mort de milliers de soldats afin de gagner quelques mètres de terrain aussitôt reperdus. L’idée est d’autant plus intéressante que s’y trouvent mêlés des personnages bien connus de nos livres d’histoire et qui connaissent pourtant un sort radicalement différent. C’est notamment le cas de Churchill qui fait ici le choix de renoncer à sa carrière politique et accepte de sombrer dans l’oubli en échange d’une autorisation lui permettant de développer sa légion de « frankies ». Comme dans la plupart des uchronies de l’auteur, on retrouve également un certain nombre de mentions plus ou moins étoffées à d’autres figures ou événements clés comme Marie Curie et ses découvertes sur le radium, l’écrivain Ernest Hemingway, et même Adolf Hitler (même si pour le coup son apparition est, disons, assez fulgurante…). Si l’essentiel du récit se focalise sur ce que le lecteur identifie comme la Première Guerre mondiale, Johan Héliot ne se prive pas non plus de reprendre quelques éléments propres à la Seconde ou à d’autres grands événements du XXe siècle comme mai 68 (ici en avance de dix ans). La ghestapo existe ainsi bel et bien, de même que la Résistance qui veut en finir avec le protectorat allemand qui fait peser sur la France une chape de plomb dont la nouvelle génération entend bien se débarrasser. [...]

- Boudicca, le 26 octobre 2018.

Publié le 26 octobre 2018

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