Un très beau roman, écrit dans un style dix-neuvièmiste ciselé, qu’on a plaisir à découvrir tranquillement, qui fait réfléchir et rêver en même temps.

Une Histoire européenne revisitée

Europe, début du XXe siècle, une des périodes les plus sanglantes de l’Histoire. La guerre sévit, provoquée par la folie de conquêtes de l’Empire prussien. La France et la Belgique sont à feu et à sang, et l’Angleterre cherche les meilleures stratégies militaires pour lutter contre les Prussiens pendant que ses tommies tombent au front avec leurs camarades français.

Une idée surgit, une solution commence à voir le jour parmi les officiers britanniques, Winston Churchill en tête. Mais c’est une idée si monstrueuse que tous la rejettent, sauf Churchill qui va s’y consacrer totalement, au prix de sa carrière et de sa santé mentale...

Pendant que les Prussiens préparent la bombe absolue qui va détruire définitivement Londres et sa région, Churchill, dans le plus grand secret, met la main sur les papiers du Dr Frankenstein et s’empare de son œuvre : comment faire revenir un cadavre à la vie.

L’épopée des non-nés commence alors, dans des scènes de combat d’anthologie...

Bien des années plus tard, Edmond Laroche-Voisin et sa fiancée retrouvent les traces de cette histoire, ainsi que ses protagonistes, et le récit qu’ils en entendent va bouleverser leurs vies.

Un roman polyphonique qui donne la parole à ses personnages

Ce récit emboîté est constitué des témoignages des différents protagonistes, chacun expliquant ce qui lui est arrivé et dans quelles circonstances il a eu accès aux témoignages des autres. Ces voix multiples forment un roman choral où chaque pièce s’emboîte sans problème avec les autres.

Les récits s’entrelacent, les personnages connus aussi, historiques ou littéraires. L’auteur met ainsi des sommités dans son œuvre : Edmond Laroche-Voisin croise Winston Leonard Spencer-Chrurchill, Hemingway, Marie Curie et sa fille Irène. Tout ce beau monde est une puissante motivation pour apprécier l’ouvrage, et l’auteur sait en jouer et se servir de son histoire pour tenir le lecteur en haleine jusqu’à la fin.

Une uchronie bien ficelée

Johan Heliot nous livre ici une uchronie attachante, en hommage à l’œuvre phare de Mary Shelley, en hommage aussi au personnage complexe et inouï qu’elle a créé. L’idée de départ est assez ambitieuse : créer une uchronie sur la guerre de 1914-1918 perdue contre les Prussiens, faire des allusions anticipatrices à la Gestapo et à la bombe nucléaire, tout en faisant renaître le mythe de Frankenstein pour lui donner une autre dimension. L’auteur relève bien le défi avec ce roman riche et travaillé.

Le monstre de Frankenstein

Le personnage du monstre de Frankenstein est autant travaillé que le contexte historique. Un être, désigné par le nom Victor, fait son apparition assez tôt dans le roman, sans qu’on sache précisément qui il est : le savant Victor Frankenstein ? le monstre qu’il a créé ? quelqu’un d’autre ? L’auteur joue sur l’ambiguïté de l’appellation Frankenstein qui pour tout le monde a tendance à désigner non pas le créateur mais sa créature. Il y aura encore des retournements de situation avant que son identité soit dévoilée...

Mais la thématique des non-nés est importante et bien exploitée. On assiste au réveil des créatures, à leurs premières sensations, leurs premières pensées, leur mode de fonctionnement, leurs capacités. C’est la venue au monde de créatures autres, différentes au sens le plus absolu du terme. Elles sont mortes humaines, elles renaissent radicalement monstrueuses. Et pourtant, le plus monstrueux n’est-il pas ce que les humains se font subir les uns aux autres, et la manière dont ils traitent ces créatures qu’ils ont mises au monde ?

Un très beau roman, écrit dans un style dix-neuvièmiste ciselé, qu’on a plaisir à découvrir tranquillement, qui fait réfléchir et rêver en même temps.

- Anaelle Weiss, septembre 2018.

Publié le 2 octobre 2018

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