La Galaxie vue du sol est le quatrième opus des Voyageurs, la superbe série de Becky Chambers (prix Hugo 2019). L’histoire est totalement indépendante, on peut donc le lire sans connaître les volumes précédents, même si l’une des protagonistes apparaît dans L’Espace d’un an.
C’est un parfait huis clos, ce qui surprend pour un roman de space opera, ayant pour cadre la galaxie tout entière. À cause d’une gigantesque panne du système de communication aux abords de la planète Gora, carrefour de tunnels interspatiaux, une foule de vaisseaux sont bloqués, sans pouvoir décoller ni entrer en communication avec qui que ce soit. Trois intells en transit à l’auberge des Cinq- Sauts – laquelle est tenue par deux Laru, Ouloo et son enfant Tupo – vont donc devoir rester plus longtemps que prévu, quelques jours au lieu de quelques heures.
Un dôme les protège des débris de satellites qui tombent du ciel et Ouloo, tout en s’inquiétant pour ses voisins, met les petits plats dans les grands pour accueillir chacun selon les spécificités de son espèce, plus ou moins aidée par Tupo, en proie aux affres de l’adolescence. Il faut attendre que les routes spatiales soient dégagées, alors chacun y met du sien, même si tout le monde n’a pas autant de facilité à fréquenter d’autres extraterrestres.
Il y a Roveg, un Quélin, esthète et fin gourmet, et qui a un rendez-vous très important ; la capitaine Tem (Pei de son petit nom), une Aéluonne en chemin pour rendre visite à un ami humain ; et puis Haut- Parleuse, une Akarak qui a laissé sa sœur jumelle sur son vaisseau et stresse parce qu’elle ne peut pas la contacter. Les Akaraks ne respirent pas la même atmosphère que les autres aussi doit-elle utiliser un scaphandre pour sortir de sa navette.
Tous trois, pour des raisons diverses, s’inquiètent du temps perdu. Des liens se nouent là où on ne les attendait pas, des conflits couvent, des situations coincées se débloquent. Au fur et à mesure qu’on en apprend davantage sur l’histoire des personnages et de leur espèce, on pense à des périodes douloureuses de notre Terre et à notre époque. Sans avoir l’air d’y toucher, Chambers évoque le racisme (spécisme), la guerre, le colonialisme, mais aussi le poids de la société dont on est issu et qui nous forme.
Le tout sans leçons de morale, juste quelques cogitations – chaque chapitre est tour à tour centré sur l’un ou l’autre des hôtes de l’auberge – ou des discussions entre aliens, voire des réponses à Tupo qui, avec toute la spontanéité de la jeunesse, n’hésite pas à poser des questions, même indiscrètes. C’est du grand art ! Et tellement bon à lire...
Lucie Chenu