Son tableau d’un pays corrompu qui sombre dans la précarité et de la gestion délétère des réfugié·es par l’Europe évite pourtant le cynisme, grâce à des personnages profondément humains et à l’espoir incarné par la naissance de la petite-fille d’Evangelos.

Le Mur grec - Le Courrier

Meurtre au bord d’un fleuve, frontière et cimetière

Nicolas Verdan signe avec Le Mur grec un polar humaniste situé à la frontière entre Grèce et Turquie.


Athènes, décembre 2010. Alors que, dans la rue, les manifestations anti-austérité donnent le ton, le policier Agent Evangelos sirote un verre au bar quand il est appelé: une tête sans corps a été retrouvée entre un parking et un bordel au bord de l’Evros, frontière naturelle entre la Grèce et la Turquie. C’est aussi une zone militaire interdite, un no man’s land surveillé par un bataillon de soldats de Frontex, toutes nationalités européennes confondues, un lieu de migration et de drames où beaucoup trouvent la mort. Mais la tête n’est pas celle d’un migrant. L’affaire est délicate, à l’heure où la Grèce tente d’obtenir des fonds européens pour construire un mur contre les passages illégaux.

Paru chez Bernard Campiche en 2015, Le Mur grec de Nicolas Verdan est réédité dans la nouvelle collection noire (Fusion) des éditions nantaises L’Atalante, dirigée par les deux spécialistes du polar Caroline de Benedetti et Emeric Cloche. [...] Ancien journaliste, Nicolas Verdan mêle dans Le Mur grec l’intrigue policière à des enjeux sociétaux et politiques très documentés, dans un pays qu’il connaît intimement de par ses origines grecques. Il allie ainsi enquête et art du récit pour construire un polar irrigué par un questionnement éthique d’une brûlante actualité.


On suit Agent Evangelos, policier proche de la retraite, à la fois lucide quant aux limites de son action et déterminé à chercher la vérité, «à défaut de faire régner la moindre justice». Une question de dignité, et pas que pour les victimes. Il sera épaulé par le lieutenant Anastasis, qui surveille la frontière et se sent lié à ceux de Frontex par la même impuissance. Ce dernier connaît bien les abus du personnel européen, tristement banals, entre traite des femmes et trafics de drogue...
Bientôt, on soupçonne du crime Nikos, un Allemand aux racines grecques qui a naïvement proposé à un oligarque un mur deux fois moins cher que ce qui était demandé à Bruxelles... Que faisait-il sur le parking cette nuit-là? Ce personnage attachant sera traqué sur cette même frontière qu’il voulait barricader: «son histoire rejoint celle du migrant, non pas qu’elle ne fasse que la croiser, alors qu’elle en vient à se confondre avec la sienne, son histoire, la leur, la nôtre, poussés que nous sommes d’aller chercher ce point d’horizon où nous pouvions conserver la confiance en nos rêves égarés».

Nicolas Verdan aborde finement les enjeux linguistiques, religieux et culturels qui se nouent autour du fleuve, limite entre deux mondes dont profitent des intérêts particuliers. Ample et précise, elliptique, rythmée, son écriture joue sur le fil d’un univers limitrophe ambigu, aux symboles contradictoires, lisière brumeuse de l’Europe et de la conscience où se rejoignent le pire et le meilleur. Son tableau d’un pays corrompu qui sombre dans la précarité et de la gestion délétère des réfugié·es par l’Europe évite pourtant le cynisme, grâce à des personnages profondément humains et à l’espoir incarné par la naissance de la petite-fille d’Evangelos.

Anne Pitteloud - 11 novembre 2022

Publié le 17 novembre 2022

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