Mais à l'instar d'autres créations littéraires de même genre, le héros du Mur grec porte tous les malheurs de son pays sur ses épaules. Il nous emmène alors sur les routes d'une Grèce choyée avec un soin de géographe.

Le Mur grec - JDD
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« Le Mur grec », un polar qui interroge les responsabilités face à la migration

LA VIE EN NOIR - Il s'appelle Agent Evangelos. Il n'est plus tout jeune et l'auteur nous épargne le cliché du policier alcoolique ou porté sur les substances toxiques. Mais à l'instar d'autres créations littéraires de même genre, le héros du Mur grec porte tous les malheurs de son pays sur ses épaules. Il nous emmène alors sur les routes d'une Grèce choyée avec un soin de géographe. Mais une tête sans corps nous plonge dans une autre Grèce que personne ne connaît et que le gouvernement de la République hellénique aimerait faire disparaître derrière un mur opaque.

D'autant que le problème avec cette tête sans corps, c'est qu'elle appartient à un Occidental et qu'on l'a retrouvée près d'un bordel dont le sordide atteint des sommets. Agent Evangelos n'est pas idiot, il sait que les emmerdes vont arriver en escadrille. On est sur les bords du fleuve Evros, dans la zone militaire à la frontière gréco-turque qui court sur quelque cent cinquante kilomètres et qui est le principal point de passage des clandestins. La frontière de Schengen est gardée par Frontex, la police européenne des frontières dont le siège se trouve à Varsovie. Une aberration que l'Agent Evangelos ne se prive pas de critiquer mais qui ne lui fait pas perdre de vue la responsabilité de sa propre administration.

L'auteur suisse Nicolas Verdan a créé un beau personnage. On suit cet agent du renseignement à trois ans de la retraite, plein de nostalgie et de fureur. Nostalgique quand il fréquente assidûment le Batman, le café de la Grèce d'avant, là où la cigarette est encore hors la loi, là où le cancer des poumons n'est pas encore au programme. Furieux, quand il nous plonge dans ce qu'il désigne avec acidité, « La Crise », la Grèce d'aujourd'hui. La fameuse crise, celle qui frappe le pays en 2008 et le fait dévisser. Merkel et son plan d'austérité pour « ces fainéants de grecques » avait-elle lourdement suggéré. Mais l'Agent Evangelos qui vient tout juste d'être grand-père, a encore le goût du travail bien fait. Il veut résoudre ce crime. Il se fout de Frontex, de l'Europe et de Madame la Chancelière. Il avance, seul, dans le cloaque de l'exploitation humaine. Un dernier acteur manque à cette équation du malheur. Son propre pays et sa corruption endémique.

Tous coupables

Un mur. Voilà de quoi il s'agit, en réalité. Et ce mur, destiné à entraver la route des migrants, qui va le payer ? Tous coupables pourrait bien être le message subliminal de l'écrivain. Tant d'argent à se faire sur le dos de la misère et surtout de l'espoir de ceux qui, dans un moment de folie pure, tentent leurs chances pour échapper à un destin sans horizon. Une nouvelle vie qui passe par la Grèce, le long d'un mur qui pourrait bien être celui de la honte. Nicolas Verdan aime la Grèce. Son roman respire néanmoins un désespoir feutré, la Grèce surnommée le berceau de la civilisation occidentale et qui s'est perdue en route, abandonnée de tous. Nue, face à une nouvelle page de son Histoire qu'elle ne sait appréhender. Que faire face à des femmes et des hommes qui viennent frapper à la porte d'un rêve dévoyé. Détourner le regard et se protéger derrière la hauteur d'un mur infranchissable.

Karen Lajon

Publié le 7 novembre 2022

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