Alors certes, la première moitié du roman semble manquer de fil directeur, surtout si on ajoute à toutes ces digressions quelques flashbacks pour narrer la découverte de cette Longue Terre ou bien encore le passé de quelques personnages. Mais pourtant à aucun moment je n’ai trouvé le roman ennuyeux, parce qu’il a toujours une réflexion à offrir, mais aussi parce qu’il est porté par une plume vive (influence de Pratchett ?), offrant ainsi un récit d’une grande fluidité.

Pratchett, Baxter - La Longue Terre - Lorhkan
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Étonnant, et pourtant…

Car oui, disons-le tout net, l’association des deux auteurs britanniques fonctionne à merveille ! On y retrouve par petite touches la tendance scientifique de Baxter sur certains éléments du récit, discrète, jamais trop lourde, mais aussi le goût des dialogues bien ciselés et rondement menés de Pratchett, tout comme son côté cynique et pince-sans-rire.

Mais comment tout cela s’agence-t-il ? Comme indiqué sur la quatrième de couverture reprise ci-dessus, « La Longue Terre » met l’humanité face à la situation suivante : les univers multiples existent, et peuvent être atteints à l’aide d’un artifice tout simple à la portée de tout le monde : un « passeur » composé de quelques circuits électroniques et d’une pomme de terre en guise de pile. Vierges de toute exploration humaine, ils n’attendent que le goût de l’aventure de quelques pionniers, bientôt suivis par quelques arrivistes sentant le bon coup financier, pour être explorés, puis peuplés. Car ces mondes alternatifs sont très ressemblant à notre « Prime Terre » (ainsi qu’elle est désormais appelée). C’est donc un eldorado de matières premières et autres grands espaces qui s’offre aux hommes. C’est bien évidemment une révolution sur bien des plans qui va s’opérer : finies les guerres dues au manque d’espace vital, fini le manque de ressources, etc… Il y a maintenant une infinité de mondes pour potentiellement satisfaire toute la population !

C’est dans ce contexte que Josué Valienté, un jeune homme capable de passer de monde en monde sans aide d’un passeur, va être contacté par transTerre, une filiale d’une grande et mystérieuse entreprise nommée Black Corporation (du nom de son fondateur), pour explorer la Longue Terre et tenter d’aller à son extrémité, si tant est qu’elle existe. Pour l’accompagner : Lobsang, une intelligence artificielle un brin déjantée qui dit avoir été dans une autre vie un réparateur de motocyclettes tibétain !… Leur moyen de locomotion : un dirigeable.

Ce contexte posé, on peut déjà y discerner la patte loufoque de Pratchett et l’explorateur de possibilités scientifiques Baxter. Et les deux auteurs vont laisser libre cours à leur imagination et explorer nombre de situations différentes, au gré de digressions toujours bien amenées et surtout toujours riches de sens. Ainsi le roman semble partir un peu dans toutes les directions, mais c’est un moyen pour les deux compères, qui visiblement se sont entendus à merveille, d’explorer de nombreuses pistes (les peuples colonisés qui ont la possibilité de retrouver leur terre ancestrale vierge, ceux qui tentent de faire fortune en venant sur des sites célèbres pour leur gisement d’or, ceux qui, l’esprit pionnier et la conquête de l’Ouest en ligne de mire, veulent recréer un idéal tranquille et s’affranchir du besoin de travailler pour quelqu’un d’autre, mais également les côtés plus sombres comme la criminalité ou la possible déchéance de la Prime Terre devant l’exode massif de ses habitants, etc…).

Alors certes, la première moitié du roman semble manquer de fil directeur, surtout si on ajoute à toutes ces digressions quelques flashbacks pour narrer la découverte de cette Longue Terre ou bien encore le passé de quelques personnages. Mais pourtant à aucun moment je n’ai trouvé le roman ennuyeux, parce qu’il a toujours une réflexion à offrir, mais aussi parce qu’il est porté par une plume vive (influence de Pratchett ?), offrant ainsi un récit d’une grande fluidité. Rien dans le roman n’est gratuit ou ne mène à rien, tout à un sens ou un but. Les auteurs savent où il veulent aller, et le lecteur le ressent clairement quand la seconde moitié du roman s’oriente vers une réflexion de plus grande ampleur sur l’évolution des espèces, dans laquelle l’influence de Baxter se fait clairement sentir.

« La Longue Terre » est donc un roman intelligent, plein de réflexion, mais aussi pétri de bons mots. A ce sujet, je ne peux résister à vous livrer ce petit paragraphe sur la façon dont les Français réagissent à la découverte de la Longue Terre :

« La France, par exemple, a déclaré son territoire ouvert à la colonisation dans l’ensemble du multivers pour qui désirait être français et souscrivait à un document précisant point par point ce que signifiait être français. C’était une idée courageuse, mais quelque peu desservie par le fait que, malgré un débat national passionné, il ne se trouvait pas deux Français pour être d’accord sur la définition de leur nationalité. Selon une autre école de pensée, cependant, se quereller sur ce qui déterminait son appartenance était justement l’un des critères requis pour chanter cocorico. »

Lorhkan

Publié le 14 septembre 2016

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