Pratchett/Baxter - La Longue Terre - Les Vagabonds du Rêve
On ne dira jamais assez les vertus de la pomme de terre si deux auteurs pareils peuvent s'attacher à son utilisation.
Auteurs très différents ? Oui, par ce qu'ils traitent habituellement et
par la manière. Non par la rigueur toute scientifique qu'ils apportent à
l'écriture. Parce que l'imagination de Pratchett, si décalée qu'elle
puisse paraître, n'empêche pas la cohérence avec laquelle il a bâti le
Disque-Monde. Avec cette différence majeure qu'il en efface
soigneusement toutes les traces au fur et à mesure de son passage.
Impossible lorsque l'on rédige à quatre mains.
On en trouvera donc de gros morceaux dans la Longue Terre après avoir admis le postulat de départ, le Passeur,
conçu par Willis Linsay. Un petit appareil fort simple composé d'un
boîtier et quelques fils de cuivre fonctionnant grâce à l'énergie d'une
pomme de terre, que l'agent Monica Jansson a découvert dans les ruines
calcinées qui furent la maison de l'inventeur.
Invention très simple à première vue – un placebo même, qui sait,
puisque certains, comme José Valiente ou Sally Linsay, n'en ont même pas
besoin – mais qui permet de se transporter dans une terre parallèle.
Non, pas une terre parallèle, une infinité de terres parallèles.
Toujours au même endroit mais qui est ailleurs. Il suffit d'un pas de
côté. Ainsi, en partant de Madison, dans le Wisconsin, on se retrouve
de saut en sauts immobiles... eh bien, à Madison. Sauf que, dans cette
terre-là, il n'y a jamais eu de Madison mais des forêts ou... ou...
Mieux, encore, il n'y a personne !
Normal que le gouvernement et la police aient l’œil. Que dire d'un
voleur qui disparaît brutalement et qui se retrouve ailleurs quelques
pas plus loin ? À condition, bien sûr, que ce soit sans objet de fer car
le fer ne passe pas (pas de chance pour les boucles de ceinture si
elles tiennent votre pantalon). Non qu'il n'en existe pas mais il faut
extraire le minerai et le fondre sur place.
Pour les impôts et taxes, pas de problèmes : il suffit que le
gouvernement d'un pays s'étende à tout son territoire, parallèles
compris. Ainsi tout le monde sera-t-il heureux puisqu'on pourra choisir
son lieu de vie et ceux avec qui on la partagera dans une de ces terres.
Du moins tant que ceux qui ne peuvent réussir à passer n'en prennent
pas ombrage.
Néanmoins, il s'agit d'un tel enjeu que les scientifiques ne peuvent
l'ignorer. Si la jeune Sally a pu partir en catimini à la recherche de
son père, José Valienté, pisté par l'agent Jansson, il va être recruté, lui,
bon gré mal gré, par l'institut transTerre pour un voyage de
reconnaissance en dirigeable à travers toutes ces terres.
Il y sera accompagné et piloté à tous les sens du terme par une IA très
particulière, Lobsang, réincarnation affirmée d'un mécanicien tibétain
en motocyclettes présentement sous forme de distributeur de boissons.
Leur long voyage, peu mouvementé si ce n'est par les discussions, est
censé être à usage documentaire. Il s'avère plutôt un jeu d'interrogations
sur le monde comme il va, ou pourrait aller.
Il y a du Micromégas dans ces observations qui touchent à tous
les domaines. Pratchett a toujours l'art d'aborder les sujets les plus
sérieux sous des dehors farfelus. Peut-être est-ce particulièrement
visible dans ce roman-ci sous l'influence de Baxter. La réflexion n'y
perd pas, ni l'abondance de références.
Hélène M. - Les Vagabonds du Rêve (26 septembre 2013)
Publié le 30 septembre 2013