Ambitieux, ce projet de Juliet Marillier : elle s’attaque à un conte traditionnel des frères Grimm, celui des six frères cygnes. Je suis certaine que vous vous en souvenez : la méchante marâtre lance un sort à une fratrie de sept enfants pour les transformer en cygnes. Or, la plus jeune, la seule fille, lui échappe. Ses grands frères subissent la métamorphose et pour les libérer de cette terrible malédiction la jeune sœur devra tisser et coudre six chemises de fleur d’étoiles, une plante venimeuse qui déchire les mains. Et durant tout le temps qu’elle mettra, elle ne devra prononcer aucun mot, aucun son au risque de condamner ses frères pour toujours.   Quand j’étais petite fille c’était l’un de mes contes préférés. J’avais donc très peur en ouvrant ce roman, car l’auteur, me disais-je, allait certainement tout gâcher. Et bien, non ! Juliet Marillier parvient à nous livrer ce conte du point de vue de la petite soeur - tout en tissant une autre histoire dans l'ouvrage. L’intrigue est logiquement vite résumée : Sorcha est la plus jeune d’une fratrie de sept enfants. Elle n’a que douze ans et aime courir avec ses six frères dans la forêt, découvrir les plantes, vivre heureuse. Elle en a beaucoup l’occasion, puisque son père est très absent. Depuis la mort de sa femme, morte en couches à la naissance de Sorcha, il a changé et se consacre à la guerre, délaissant sa famille qu’il vient tout juste inspecter de temps à autres. Un jour il revient avec une nouvelle épouse. Très rapidement, Sorcha et ses frères ressentent quelque chose d’inquiétant chez cette femme et ils ne se trompent pas, car elle va leur lancer cette terrible malédiction qui les transformera en cygnes. Sorcha parvient à lui échapper, mais elle ne verra désormais ses frères que deux nuits par an, lors du solstice d’été et lors du solstice d’hiver. Tout le reste du temps elle est seule face à sa tâche : il faudra découper la fleur d’étoile qui déchire la peau, la tisser, coudre des chemises. Sorcha pense qu’il ne lui faudra que quelques mois, mais rapidement elle réalise que le temps devra se compter en années plutôt qu’en mois … Donc, l’intrigue est celle du conte de Grimm, me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que c’est la trame du roman, oui parce que le conte est parfaitement respecté, oui, c’est le cœur même de l’œuvre. Non, parce que l’histoire va bien plus loin. Déjà, la transformation des six frères en cygnes n’intervient qu’au milieu du premier volume (l'histoire compte deux volumes). Le début nous permet de découvrir Sorcha, à travers son apprentissage des plantes, lorsqu’elle se sert de ses talents de guérisseuse, lorsqu'elle discute avec ses frères … On observe une jeune fille sauvage, naïve, qui ignore tout de la méchanceté des hommes et qui est pourtant étonnamment mature. Et tout le long nous savons quel destin terrible l'attend ! Les six frères ont chacun leur propre caractère et leurs propres aspirations. Certains sont plus proches de Sorcha que d’autres, certains partagent plus leur temps avec le sien comme par exemple Finbar. Mais tous les sept sont là les uns pour les autres et ce lien pourra les sauver. Lorsque les sept garçons ne sont plus en mesure d’aider leur petite sœur, ils en souffrent beaucoup. Car quand Sorcha se retrouve seule, elle est soudainement dépourvue de la protection de ses frères, pour la première fois de sa vie. Nul être vers qui se tourner. On souffre avec elle de cette solitude, on vit ses peurs, sa faim, ses interrogations, on est désolé en voyant ses mains qui s’abîment, qui ne retrouveront jamais leur beauté. Et toujours cette tache quasi insurmontable de coudre six chemises. Curieusement, on oublie par moments qu’il s’agit là d'un conte de Grimm. On entre complètement dans le monde de Sorcha, un monde en même temps si immense puisqu’elle est seule dans la forêt, et en même temps si réduit puisqu’elle se trouve coupée de tout contact humain. Si on sait dès le début ce qui se passera, on a tout de même des surprises, car le style est profond, plein d’odeurs, de bruits, de glapissements, d’arômes ; de plus, les dangers de la forêt sont nombreux ! Alors même que Sorcha passe le plus clair de son temps seule (du moins dans ce premier volume), le livre est vivant et on n’a pas le temps de s’ennuyer. Et oui, nous connaissons les aboutissants de l’histoire qui se construit autour de Sorcha, mais c'est bien la découverte du chemin qu'elle suit qui nous livre là un joli roman.   J’avais une autre crainte : inspiré d’un conte de fées, je pensais qu’il s’agirait certainement d’un livre pour enfants ou pour adolescents. Oui, un adolescent le lira avec un énorme plaisir, comme tous les livres fantasy, je pense. Mais il s’agit néanmoins clairement d’un « vrai » roman fantasy, car l’écriture est profonde et se réfère à des sentiments et souffrances qu’on ne comprend qu’avec un peu de vécu. Comme pour tout bon livre, le regard sur l’histoire change. Amoureux du conte de Grimm, vous êtes adultes maintenant, alors voici cette merveilleuse histoire contée pour vous ! Vous aimez les livres fantasy (plutôt fantasy médiévale) ? Allez-y.   Et oui, j’ai beaucoup aimé le roman et ce petit coté inéluctable lui va à ravir ! J’ai même accordé un petit point bonus pour le courage de reprendre un classique pour le transformer, car ça, il faut l’oser !   Eden l'a lu 

Marillier - Soeur des cygnes - Eden l'a lu
Ambitieux, ce projet de Juliet Marillier : elle s’attaque à un conte traditionnel des frères Grimm, celui des six frères cygnes.
Je suis certaine que vous vous en souvenez : la méchante marâtre lance un sort à une fratrie de sept enfants pour les transformer en cygnes. Or, la plus jeune, la seule fille, lui échappe. Ses grands frères subissent la métamorphose et pour les libérer de cette terrible malédiction la jeune sœur devra tisser et coudre six chemises de fleur d’étoiles, une plante venimeuse qui déchire les mains. Et durant tout le temps qu’elle mettra, elle ne devra prononcer aucun mot, aucun son au risque de condamner ses frères pour toujours.
 
Quand j’étais petite fille c’était l’un de mes contes préférés. J’avais donc très peur en ouvrant ce roman, car l’auteur, me disais-je, allait certainement tout gâcher. Et bien, non ! Juliet Marillier parvient à nous livrer ce conte du point de vue de la petite soeur - tout en tissant une autre histoire dans l'ouvrage.
L’intrigue est logiquement vite résumée : Sorcha est la plus jeune d’une fratrie de sept enfants. Elle n’a que douze ans et aime courir avec ses six frères dans la forêt, découvrir les plantes, vivre heureuse. Elle en a beaucoup l’occasion, puisque son père est très absent. Depuis la mort de sa femme, morte en couches à la naissance de Sorcha, il a changé et se consacre à la guerre, délaissant sa famille qu’il vient tout juste inspecter de temps à autres. Un jour il revient avec une nouvelle épouse. Très rapidement, Sorcha et ses frères ressentent quelque chose d’inquiétant chez cette femme et ils ne se trompent pas, car elle va leur lancer cette terrible malédiction qui les transformera en cygnes. Sorcha parvient à lui échapper, mais elle ne verra désormais ses frères que deux nuits par an, lors du solstice d’été et lors du solstice d’hiver. Tout le reste du temps elle est seule face à sa tâche : il faudra découper la fleur d’étoile qui déchire la peau, la tisser, coudre des chemises. Sorcha pense qu’il ne lui faudra que quelques mois, mais rapidement elle réalise que le temps devra se compter en années plutôt qu’en mois …
Donc, l’intrigue est celle du conte de Grimm, me direz-vous. Oui et non. Oui, parce que c’est la trame du roman, oui parce que le conte est parfaitement respecté, oui, c’est le cœur même de l’œuvre. Non, parce que l’histoire va bien plus loin. Déjà, la transformation des six frères en cygnes n’intervient qu’au milieu du premier volume (l'histoire compte deux volumes). Le début nous permet de découvrir Sorcha, à travers son apprentissage des plantes, lorsqu’elle se sert de ses talents de guérisseuse, lorsqu'elle discute avec ses frères … On observe une jeune fille sauvage, naïve, qui ignore tout de la méchanceté des hommes et qui est pourtant étonnamment mature. Et tout le long nous savons quel destin terrible l'attend ! Les six frères ont chacun leur propre caractère et leurs propres aspirations. Certains sont plus proches de Sorcha que d’autres, certains partagent plus leur temps avec le sien comme par exemple Finbar. Mais tous les sept sont là les uns pour les autres et ce lien pourra les sauver. Lorsque les sept garçons ne sont plus en mesure d’aider leur petite sœur, ils en souffrent beaucoup. Car quand Sorcha se retrouve seule, elle est soudainement dépourvue de la protection de ses frères, pour la première fois de sa vie. Nul être vers qui se tourner.
On souffre avec elle de cette solitude, on vit ses peurs, sa faim, ses interrogations, on est désolé en voyant ses mains qui s’abîment, qui ne retrouveront jamais leur beauté. Et toujours cette tache quasi insurmontable de coudre six chemises. Curieusement, on oublie par moments qu’il s’agit là d'un conte de Grimm. On entre complètement dans le monde de Sorcha, un monde en même temps si immense puisqu’elle est seule dans la forêt, et en même temps si réduit puisqu’elle se trouve coupée de tout contact humain. Si on sait dès le début ce qui se passera, on a tout de même des surprises, car le style est profond, plein d’odeurs, de bruits, de glapissements, d’arômes ; de plus, les dangers de la forêt sont nombreux ! Alors même que Sorcha passe le plus clair de son temps seule (du moins dans ce premier volume), le livre est vivant et on n’a pas le temps de s’ennuyer. Et oui, nous connaissons les aboutissants de l’histoire qui se construit autour de Sorcha, mais c'est bien la découverte du chemin qu'elle suit qui nous livre là un joli roman.
 
J’avais une autre crainte : inspiré d’un conte de fées, je pensais qu’il s’agirait certainement d’un livre pour enfants ou pour adolescents. Oui, un adolescent le lira avec un énorme plaisir, comme tous les livres fantasy, je pense. Mais il s’agit néanmoins clairement d’un « vrai » roman fantasy, car l’écriture est profonde et se réfère à des sentiments et souffrances qu’on ne comprend qu’avec un peu de vécu. Comme pour tout bon livre, le regard sur l’histoire change.
Amoureux du conte de Grimm, vous êtes adultes maintenant, alors voici cette merveilleuse histoire contée pour vous !
Vous aimez les livres fantasy (plutôt fantasy médiévale) ? Allez-y.
 
Et oui, j’ai beaucoup aimé le roman et ce petit coté inéluctable lui va à ravir ! J’ai même accordé un petit point bonus pour le courage de reprendre un classique pour le transformer, car ça, il faut l’oser !
 
Publié le 12 septembre 2011

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