Un soir de 23 janvier, la nuit n’est pas venue. Le ciel s’est embrasé d’une couleur jaune dorée, et depuis les jours s’enchaînent aux jours, sans aucune trève. Petit à petit, heure après heure, le monde s’est effondré. Les autorités se sont dissoutes, les médias ont couvert l’événement avant de s’évaporer, l’électricité a été coupée, les réseaux de communication se sont tus. Et dans le chaos ambiant, les survivants hébétés se sont entre-tués.   Ils sont deux flics, Thomas et Etienne. Leurs destins se croisent dans la même ville sans qu’ils se connaissent. Le premier était de service quand ça a commencé, l’autre non. Thomas a du se résigner à quitter son foyer, après que sa femme l’ait quitté subitement pour creuver à quelques kilomètres de là. Etienne a eu un coup de folie, mutilant sauvagement sa femme au visage avant de s’enfuir au loin. Tous les deux ont croisé durant leur errance une « Sophie ». Pour Etienne, c’est une prostituée qui se suicide dans les premières heures du désastre. Pour Thomas, c’est une adolescente de seize ans qui l’accompagne un bout de chemin, avant de l’abandonner à son tour. Tous deux sont hantés par le souvenir de ces femmes et tentent d’y survivre, alors que le monde autour d’eux n’en finit pas de creuver au soleil. Descendant toujours plus au sud, les deux hommes aux parcours entre-mêlés sillonnent des routes dévastées, le long desquelles les pulsions humaines – bonnes ou mauvaises – rejaillissent à la surface, débridées par l’effondrement de la société. Au bout du voyage, que trouveront-ils, la mort ou la délivrance ?   Les Editions l’Atalante ont peu l’occasion de publier de premiers romans. Aussi la sortie d’ouvrage signé d’un auteur d’a peine vingt ans a de quoi surprendre. Le premier roman d’un très jeune auteur sonne cependant trop souvent comme la pièce originale d’un éditeur cherchant à se faire remarquer durant la déferlante de la rentrée littéraire. Je dois confesser que cette détestable appréhension me vient d’un mauvais souvenir des « enfants-auteurs » des années 80-90, et de cette sur-enchère de jeunisme que se livrèrent à l’époque les grandes maisons d’édition parisiennes. Mais puisque l’Atalante, maison d’édition nantaise bien plus sage, prend le risque de publier un petit nouveau, il serait justement dommage de rester sur de tels a-priori et ne pas voir ce que leur poulain a dans le ventre. Et force m’est de reconnaître que je ne regrette pas d’avoir écouté ma curiosité.   Le post-apocalyptique est un genre à la mode, et la déferlante d’ouvrages sortis sous cette étiquette pose de plus en plus le problème de l’originalité. Bien qu’un bon roman de série B dans cette veine fasse toujours plaisir, le thème commence à être particulièrement usé jusqu’à la corde : au fil des pages, notre pauvre planète a fait le tour des pires scénarios catastrophes. Camille Leboulanger se distingue pourtant du lot en n’utilisant pas le post-apocalyptique comme sujet, mais comme prétexte pour son roman. L’origine de ce chaos, la disparition de l’alternance jour/nuit au profit d’un ciel lumineux permanent, n’est qu’une toile de fond à l’intrigue. Ce qui importe, dans ce roman, ce sont avant tout les personnages, de pauvres être assommés par le cataclysme et soumis à une éprouvante pression psychologique. Si le road trip qui s’en suit rappelle La Route de MacCarthy, la comparaison s’arrête là. Nous ne sommes pas dans un roman déstructuré, bâti à l’image de son univers post-apocalyptique. Malgré quelques ressemblances de scénario, Enfin la nuit tranche très vite avec le chef d’œuvre de MacCarthy par son style posé, littéraire, mais tout de même assez envoûtant et cynique pour accrocher le lecteur.   Camille Leboulanger décortique ses personnages comme un psychiatre sadique qui soumettrait ses cobayes à une lumière artificielle constante. Il se moque de notre monde policé, de nos habitudes de sur-consommateurs futiles, et s’amuse à faire rejaillir en chacun de ses personnages les pulsions enfouies sous le vernis de la civilisation. Certains cèdent à la folie, d’autres se cherchent eux-même lors de leurs errances sans fin sur la route, d’autres encore tentent de rebâtir un semblant de normalité. La nature humaine est exposée au grand jour de cette lumière post-apocalyptique.   Parmi les nouveautés de la rentrée, Enfin la nuit se distingue donc comme un ouvrage de littérature blanche utilisant à bon escient les ingrédients du post-apocalyptique. La recette prend bien, offrant un texte court et efficace, correctement dosé et ne laissant à aucun moment le lecteur sur le bas côté de la route. L’essai est donc concluant pour un premier roman. Reste à savoir quelle voie choisira par la suite l’auteur, ou s’il restera encore à cette interface entre littérature générale et imaginaire.   Guillaume Traqueur Stellaire

Leboulanger - Enfin la nuit - Traqueur Stellaire
Un soir de 23 janvier, la nuit n’est pas venue.
Le ciel s’est embrasé d’une couleur jaune dorée, et depuis les jours s’enchaînent aux jours, sans aucune trève.
Petit à petit, heure après heure, le monde s’est effondré. Les autorités se sont dissoutes, les médias ont couvert l’événement avant de s’évaporer, l’électricité a été coupée, les réseaux de communication se sont tus. Et dans le chaos ambiant, les survivants hébétés se sont entre-tués.
 
Ils sont deux flics, Thomas et Etienne. Leurs destins se croisent dans la même ville sans qu’ils se connaissent. Le premier était de service quand ça a commencé, l’autre non. Thomas a du se résigner à quitter son foyer, après que sa femme l’ait quitté subitement pour creuver à quelques kilomètres de là.
Etienne a eu un coup de folie, mutilant sauvagement sa femme au visage avant de s’enfuir au loin. Tous les deux ont croisé durant leur errance une « Sophie ». Pour Etienne, c’est une prostituée qui se suicide dans les premières heures du désastre. Pour Thomas, c’est une adolescente de seize ans qui l’accompagne un bout de chemin, avant de l’abandonner à son tour. Tous deux sont hantés par le souvenir de ces femmes et tentent d’y survivre, alors que le monde autour d’eux n’en finit pas de creuver au soleil. Descendant toujours plus au sud, les deux hommes aux parcours entre-mêlés sillonnent des routes dévastées, le long desquelles les pulsions humaines – bonnes ou mauvaises – rejaillissent à la surface, débridées par l’effondrement de la société. Au bout du voyage, que trouveront-ils, la mort ou la délivrance ?
 
Les Editions l’Atalante ont peu l’occasion de publier de premiers romans. Aussi la sortie d’ouvrage signé d’un auteur d’a peine vingt ans a de quoi surprendre. Le premier roman d’un très jeune auteur sonne cependant trop souvent comme la pièce originale d’un éditeur cherchant à se faire remarquer durant la déferlante de la rentrée littéraire. Je dois confesser que cette détestable appréhension me vient d’un mauvais souvenir des « enfants-auteurs » des années 80-90, et de cette sur-enchère de jeunisme que se livrèrent à l’époque les grandes maisons d’édition parisiennes. Mais puisque l’Atalante, maison d’édition nantaise bien plus sage, prend le risque de publier un petit nouveau, il serait justement dommage de rester sur de tels a-priori et ne pas voir ce que leur poulain a dans le ventre. Et force m’est de reconnaître que je ne regrette pas d’avoir écouté ma curiosité.
 
Le post-apocalyptique est un genre à la mode, et la déferlante d’ouvrages sortis sous cette étiquette pose de plus en plus le problème de l’originalité. Bien qu’un bon roman de série B dans cette veine fasse toujours plaisir, le thème commence à être particulièrement usé jusqu’à la corde : au fil des pages, notre pauvre planète a fait le tour des pires scénarios catastrophes.
Camille Leboulanger se distingue pourtant du lot en n’utilisant pas le post-apocalyptique comme sujet, mais comme prétexte pour son roman. L’origine de ce chaos, la disparition de l’alternance jour/nuit au profit d’un ciel lumineux permanent, n’est qu’une toile de fond à l’intrigue. Ce qui importe, dans ce roman, ce sont avant tout les personnages, de pauvres être assommés par le cataclysme et soumis à une éprouvante pression psychologique. Si le road trip qui s’en suit rappelle La Route de MacCarthy, la comparaison s’arrête là. Nous ne sommes pas dans un roman déstructuré, bâti à l’image de son univers post-apocalyptique. Malgré quelques ressemblances de scénario, Enfin la nuit tranche très vite avec le chef d’œuvre de MacCarthy par son style posé, littéraire, mais tout de même assez envoûtant et cynique pour accrocher le lecteur.
 
Camille Leboulanger décortique ses personnages comme un psychiatre sadique qui soumettrait ses cobayes à une lumière artificielle constante. Il se moque de notre monde policé, de nos habitudes de sur-consommateurs futiles, et s’amuse à faire rejaillir en chacun de ses personnages les pulsions enfouies sous le vernis de la civilisation. Certains cèdent à la folie, d’autres se cherchent eux-même lors de leurs errances sans fin sur la route, d’autres encore tentent de rebâtir un semblant de normalité. La nature humaine est exposée au grand jour de cette lumière post-apocalyptique.
 
Parmi les nouveautés de la rentrée, Enfin la nuit se distingue donc comme un ouvrage de littérature blanche utilisant à bon escient les ingrédients du post-apocalyptique. La recette prend bien, offrant un texte court et efficace, correctement dosé et ne laissant à aucun moment le lecteur sur le bas côté de la route. L’essai est donc concluant pour un premier roman. Reste à savoir quelle voie choisira par la suite l’auteur, ou s’il restera encore à cette interface entre littérature générale et imaginaire.
 
Publié le 19 septembre 2011

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